Lorsque je suis en France et qu’il se passe un évènement au Musée Paysan d’Emile à Simorre dans le Gers, j’essaie d’y participer comme bénévole, j’ai accompagné cette association depuis ses débuts (notamment avec l’Association ARPEGES que je présidais: Association pour la Recherche, la production, la Promotion de l’Espace et la Gastronomie des Environs de Sabaillan ). Nicole la fille d’Emile étant une de nos voisine-amie est d’ailleurs, comme son mari Yves, venue plusieurs fois au village d’enfants de Grasi en Lettonie (puzzle).
Lorsque je suis bien loin du Gers, par l’heureuse voie (voix ?) d’internet, je continue à vivre l’ambiance qui se trame autour du musée paysan. Parmi les nombreux (innombrables ?) emails dont Nicole envahit les ondes, celui là a retenu mon attention cette semaine et il m’a semblé bon de t’en faire part car l’exposé de Christian PIQUES d’Agassac à l’occasion du vernissage de l’expo résume à lui seul la vie d’Emile CASTEX et à travers lui l’histoire de la petite paysannerie du XXème siècle (dont je fais partie sur la deuxième tranche du siècle…)
Expo « Biographie d’Emile Castex ». par Christian Piques
17 juillet 2011 à Agassac 31 (près de L’isle en Dodon)
“Emile Castex est né le 28 avril 1920, il était fils d’Alfred Castex et Baptistine Dénax. Il faisait partie de cette génération de l’entre-deux guerres, époque de transition entre le XIXème siècle et le monde d’aujourd’hui.
Dans ces années 20 et 30, on était un peu au milieu du gué, la première guerre mondiale, au prix d’une boucherie inédite dans l’histoire, avait vu la victoire des démocraties contre les vieux empires totalitaires, la République Française, toute jeune encore, par le biais des écoles communales, avait amené l’éducation primaire dans tous les villages. Mais les développements économiques et technologiques avaient une longueur de retard, si bien que, dans nos campagnes , si les enfants pouvaient bénéficier d’un enseignement primaire de qualité, ils ne pouvaient que très rarement aller au-delà, car la mécanisation de l’agriculture n’en était qu’à ses balbutiements, il fallait donc beaucoup de main d’œuvre dans les fermes et les revenus des familles paysannes de l’époque ne permettaient pas de payer des études longues aux enfants. Ainsi, Emile Castex, comme la plupart de ceux de sa génération, une fois arrivé au sacro-saint Certificat d’Etudes avait du abandonner ses livres et ses cahiers pour prendre la charrue. Il le dit d’ailleurs dans l’un de ses poèmes, « Premier labour ». Pour quelqu’un qui, comme lui, qui avait une âme d’intellectuel et d’artiste, cela avait du être une frustration. En fait, on ne le percevait pas ainsi à l’époque. Quand on était fils de paysan, on devenait paysan car il fallait des bras pour travailler les champs et nourrir la famille, car, à cette époque, on purgeait encore la peine infligée par la sentence biblique : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Pour Emile c’était plus évident encore car son père était invalide de guerre.
Cette génération de l’entre deux guerres a connu, que ce soit dans le domaine technologique, que ce soit dans le domaine de la vie quotidienne, que ce soit dans le domaine des rapports sociaux, des bouleversements comme jamais aucune autre génération n’en avait connus depuis les débuts de l’histoire de l’humanité. En 1920 quand Emile Castex est venu au monde, et même dans les deux décennies qui ont suivi, à Agassac, dans le domaine technologique, nous n’étions pas encore au XXème siècle, en 1920, nous n’étions pas encore au Moyen Age, en 1920, nous n’étions pas encore dans l’Antiquité gallo-romaine … Nous étions à la fin de la préhistoire !.. Et je vais vous donner quelques exemples pour vous le prouver. Deux mille ans avant Jésus-Christ, les Gaulois connaissaient déjà la technique de la fabrication des roues en bois cerclées de fer comme celles des charrettes, des chars et des tombereaux qu’Emile utilisait dans sa jeunesse. Deux mille ans avant Jésus-Christ, les Gaulois connaissaient déjà la technique de la tonnellerie avec des planches incurvées serrées par un cerceau qu’on appelait des douelles, vous m’excuserez, je ne connais pas le nom en Français, comme celles des barriques, des tonneaux et des comportes qu’Emile Castex utilisait dans sa jeunesse. Trois mille ans avant Jésus-Christ, les Egyptiens contemporains de la construction des pyramides maîtrisaient l’art de la vannerie et tressaient des osiers pour faire des paniers, comme le fit Emile Castex tout au long de sa vie.
En 1920 dans nos maisons, il n’y avait pas l’eau courante, on allait chercher l’eau au puits ou à la fontaine la plus proche, simplement que le seau en fer remplaçait progressivement la cruche en terre cuite, (la dourno). En 1920, il n’y avait pas l’électricité, on s’éclairait à la lampe à pétrole et les appareils électroménagers seraient apparus comme des éléments de la quatrième dimension. En 1920 on n’avait pas le gaz et toute la cuisine se faisait au feu de bois devant la cheminée, par ailleurs unique source de chauffage, en hiver on mettait le moine avec sa chaufferette de braise entre les draps pour chauffer le lit. En 1920 les chemins n’étaient pas goudronnés et la bicyclette était le moyen de locomotion d’avant-garde, d’ailleurs, les jeunes seulement savaient « s’y tenir » comme on disait à l’époque.
En 1920, la vie sociale n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui. On était obligés de s’entraider pour les travaux demandant plus de main d’œuvre que celle que pouvait fournir une simple famille. C’était le cas pour tuer le cochon, pour gerboyer, pour dépiquer, vendanger, ramasser le maïs, plumer les oies. On appelait cela les corvées, mais ces corvées créaient un lien social et une certaine vie en communauté.
Dans les fermes de l’époque on produisait pratiquement toute la nourriture indispensable à la famille, on vivait dans une quasi-autarcie avec très peu de numéraire. On payait d’ailleurs le boulanger avec du blé et l’épicier avec des œufs.
Et puis les choses se sont accélérées.
Au niveau mondial d’abord. Je citerai trois exemples : Emile avait 7 ans lorsqu’un avion, le Spirit of saint-louis de Lindbergh, a traversé l’Atlantique-Nord pour la première fois, il avait 25ans lorsque la première bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, il avait 49 ans lorsque Armstrong et Aldrin ont marché sur la lune.
Au niveau des travaux des champs, il a d’abord vu arriver la lieuse qui a fait disparaître le travail fastidieux du lien des javelles à la main avec des « liadés » de paille qu’il fallait faire tôt le matin avant que le soleil ne rende la paille cassante, puis, après 1945, il ya eu ce que l’on peut appeler « la révolution du tracteur » qui a profondément changé le travail agricole, révolution du tracteur suivie par celle de la moissonneuse batteuse dans les années 60 qui a fait disparaître les corvées du gerboyage et du dépiquage et un autre progrès qui semble aujourd’hui complètement anodin parce qu’il s’agit d’un outil très simple et peu coûteux et qui pourtant a révolutionné l’élevage, je veux dire la clôture électrique.
Au niveau de la vie quotidienne, les années 50 ont vu arriver l’électricité qui, au début n’était utilisée que pour l’éclairage avant la vulgarisation des appareils électroménagers, frigidaire, machine à laver, télévision, dans les années 60. Les années 50 ont aussi vu arriver l’automobile qui, elle aussi, a révolutionné la vie quotidienne comme les réchauds à gaz dans les cuisines. On pourrait citer bien d’autres exemples encore.
Il va de soi que, quelqu’un comme Emile, fin observateur et analyste de tous ces bouleversements, ne pouvait rester indifférent. En réalisant son musée paysan, il a simplement voulu témoigner de tout ce qu’il avait vu se transformer et surtout de tout ce qu’il avait vu disparaître à jamais en conservant tous ces objets devenus désuets mais témoins inanimés d’une époque toute proche dans le temps, car que représentent deux ou trois décennies par rapport aux millénaires d’histoire qui nous ont précédés ? Et pourtant cette époque est tellement loin du monde d’aujourd’hui dominé par internet, les liaisons satellitaires, les robots, touts ces nouvelles technologies qui font que l’on ne raisonne plus au niveau d’un village mais au niveau de la planète entière.
Il y a plein d’autres choses que j’aurais pu dire sur Emile Castex, notamment ses talents d’artiste, de musicien et surtout de peintre. A ce sujet vous pourrez, par vous-même voir certains de ses tableaux présents dans cette exposition mais, dans ce domaine, Nicole est mieux placée que moi pour vous en parler.
En guise de conclusion, je féliciterai l’Association des Amis du musée paysan d’Emile qui immortalise son œuvre et qui a réalisé cette remarquable exposition, que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui et qui retrace l’histoire d’une vie toute simple et pourtant d’une si extraordinaire richesse.”