Je suis né dans un milieu où très tôt on a tenté de me faire comprendre que nous n’étions que de passage sur terre, en marche vers un Paradis, mais que pour y accéder il y avait pas mal de conditions à respecter et en plus ce ne serait que dans une autre vie… L’idée est alléchante, cela peut donner un sens à la vie mais en attendant, impatients que nous sommes tous, ne pourrions nous pas nous entraîner un peu ici bas ?
Nous sommes toujours en 1990-1991
En recherche de réorientions, de diversification, de notre petite exploitation agricole de 22 ha dans les coteaux du Gers, le déclic me vint durant la formation tourisme vert que m’avait proposée la chambre d’agriculture du Gers, simplement en faisant des jeux de mots, j’aime bien jouer avec les mots.
« Pour conjurer le sort, plutôt que devenir le serf d’une nouvelle féodalité, j’élèverai des cerfs, Na ! ».
Et comme le hasard n’existe pas, les cervidés correspondaient à merveille à la logique que je recherchais pour l’avenir de ma ferme. Alors je me suis documenté, visité des élevages, tout s’harmonisait comme par enchantement, sauf un détail de taille... Oui, la taille de ces animaux sauvages me faisait peur. Durant ma vie de paysan, j’ai toujours élevé des petits animaux. Du plus petit, la caille de chine, au plus gros, le mouton. Non, cet animal m’inquiète, trop dangereux pour moi. Alors pourquoi pas le daim ? me suggéra un éleveur de cerfs diplomate - car entre éleveurs de cerfs et éleveurs de daims c’est un peu comme en politique, il y a la gauche et la droite - Amusant non ? Moi, je n’ai pas de case particulière, du moins je n’ai pas encore trouvé, alors tout cela m’amuse bien…
Les daims ? Les daims de jardin ? Non, le jardin des daims ce serait mieux ! Mais oui, les daims, leur gabarit me convient mieux que celui des cerfs. Et puis daim rime bien avec Eden… Mais oui, c’est bien ça, le jardin des daims !
En suivant des cours de marketing, mon âme de poète repris rapidement le dessus… Je suis là pour me former et non pour me déformer ! et dans ma petite cervelle naquit le texte ci-dessous. Un jour, invité dans une radio régionale, Sud Radio pour ne pas la citer, je lus timidement mes rimes. L’animateur de radio, dans une profonde réflexion philosophique rajouta: Avez vous déjà écrit des rimes en ouille ?
Le Jardin d’Eden
Il était de coutume en pays latin
D’espérer l’autre vie pour découvrir l’Eden.
Désormais en Gascogne il n’en est rien,
Puisqu’en ses coteaux Gersois renaît ce jardin.
C’était un fantasme souvent émis en vain
Car, sous le pommier, attiré par le Malin,
L’Homme fier y croqua maintes fois son destin.
.
Le vingt et unième siècle n’étant plus très loin,
Il nous faut à nouveau vite faire le point.
Le temps est venu de repenser en son sein
Le bon ordre des plates-bandes du Jardin.
Selon la géomorphologie du terrain,
En sachant bien du consommateur les besoins,
Tout est Harmonisé, l’eau pure pour témoin.
Nombreux Paysans de leur avenir certains,
Artisans, commerçants, restaurants et baladins
S’activent à faire prospérer cet Ecrin.
.
Paradis aussi pour les citadins,
Tout est cuisiné, mijoté pour son prochain
Selon l’Identité préservée avec soin,
Dont nos deux mille ans d’Histoire sont les témoins.
Des haies, des couleurs et les Pyrénées au loin,
Sentiers tracés en quatre voies ou bons chemins
Mènent cette nouvelle stratégie à bien.
.
Ce nouvel équilibre Nature - Humains,
Recrée notre Art de Vivre en ces lieux divins.
Pour qu’enfin il n’y ait plus d’exclus au festin,
Vite, ensemble réfléchissons à demain :
De l’Europe, notre Gascogne sera l’Eden.
Jean Amblard. “Contes, Comtes et Comtes Gascons. Plaidoyer pour la réintroduction de l’Homme dans la nature.”
Je pensais avoir trouvé la production qui répondrait à tous les critères que je m’étais fixé:
- Ne plus utiliser de chimie sur mes terres. Il faudrait clôturer solidement et tout semer en prairies.
- Diversifier avec une production innovante et extensive voire expérimentale. On ne peut mieux, j’aime les défis, les aventures.
- Un élevage de préférence, j’aime les animaux. certes les animaux sauvages sont distants mais on peut arriver à vivre en bonne entente grâce à cette distance, c’est une forme de respect. La distance ne rapproche-t-elle pas ?
- Un élevage qui oblige un cahier des charges adapté à l’animal et non un animal adapté à un cahier des charges.
- Un animal qui a gardé son rythme biologique bien cyclé à celui de la nature. il naît au printemps, la période où l’herbe pousse à merveille et nourrit bien la mère allaitante. Les jeunes vont grandir en été, s’engraisser en automne pour pouvoir passer l’hiver sur leurs réserves… Impeccable ! la nature est fantastique si on arrive à vivre en harmonie avec elle !
- Eviter un trop grand surcroît de travail sur la ferme. On ne peut pas trop intervenir sur les animaux sauvages et puis il ne faut pas, on doit respecter leur état sauvage.
- Vente directe qui puisse valoriser économiquement une petite production. La transformation des produits peut se faire dans les périodes où il y a du temps libre sur la ferme, en hiver.
- Attirer les touristes chez nous. Les daims me semblaient plus attirant que des “animaux ordinaires”. En plus de vendre les produits de la ferme, j’avais déjà une grande soif de communiquer ma façon d’imaginer l’avenir de l’agriculture et de la société en général. Recevoir du public sur la ferme, c’était vraiment une opportunité, on était exactement dans le contexte pour communiquer…
Peu à peu mon énergie revendicative contre la Politique Agricole Commune se transformait en énergie créative plus en harmonie avec mon caractère.
A suivre…