Depuis quelques jours j’essaie de refaire le point avec mes idées, pourquoi ai-je pris conscience si tôt des problèmes écologiques ? depuis, je ne peux pas ne pas en tenir compte dans tous mes projets. Mais je peste de voir que dans notre société rien ne bouge et pourtant ne faut-il pas accélérer la réflexion et l’application d’une nouvelle logique de développement qui harmonise les besoins des Hommes et les exigences de la nature ? De toutes façons, de gré ou de force, il faudra le faire, c’est incontournable. Alors autant prendre le problème à bras le corps dès maintenant. Nous avons le don de reporter nos problèmes au lendemain mais là, nous sommes déjà demain !!!
Des constats, des réflexions, des projets : Je ne veux pas me marginaliser, j’envie ceux qui ont trouvé leur case mais j’ai du mal à trouver la mienne et ça ne date pas d’aujourd’hui….
Où en étais-je en 1989, 200 ans après la révolution ?
- Economiquement il n’est pas envisageable de remettre en question la production de gibier de chasse qui représente alors 100% des revenus de notre petite exploitation familiale. En bon élève, nous avons suivi la mouvance de la gestion d’entreprise et éliminé progressivement tout ce qui était moins rentable. Le troupeau de moutons et l’élevage des poulets du Gers élevés en plein air ont été abandonnés depuis quelques années. Les terres sont cultivées en céréales pour nourrir nos dizaines de milliers de faisans, perdrix et cailles destinés à ravitailler des centaines d’associations de chasse clientes chez nous. Mais la spécialisation n’est-elle pas un danger ? Imaginons que le dossier qui traîne depuis 1981 au ministère de l’environnement refasse surface du jour au lendemain et que les écologistes réussissent à faire interdire les lâchers de gibiers d’élevage ?
- Diversifier avec de nouvelles productions plus en harmonie avec mes idées, des idées qui ont évolué ces dernières années ? Des productions qui pourraient aller dans le sens d’un meilleur respect de l’environnement mais ne demandant pas un surcroît important de main d’œuvre (et de soucis). Sur notre ferme nous avons déjà des journées bien remplies dépassant tout entendement syndical (!!!). Des productions qui pourraient à terme prendre la place de l’élevage de gibier ? Nous sentons bien que la chasse telle qu’elle a dévié ces dernières années subit des pressions et a de plus en plus de détracteurs. Mais au lieu d’accuser les chasseurs, vision simpliste, pourquoi ne pas s’attaquer au réel problème de la pollution ? Par manque d’information sans doute ?
- Et si les chasseurs soutenaient l’agriculture biologique ? Provoc ? Non, pas du tout, réponse logique à un problème mais en convenant que pour l’instant, c’est pure utopie. Nous savons tous qu’il y a des cloisons dans notre organisation sociale ! A ce propos, pour argumenter ce thème chasse-bio qui m’est cher, il y a quelques années j’étais intervenant dans un séminaire annuel « Journée Paysannes de Saint Jodard » dans la Loire où je rencontrais des gros agriculteurs bio de l’Est de la France qui se plaignaient de l’invasion de gibier sur leurs terres. « Tout le gibier de la région vient se réfugier et se reproduire chez nous ! » Pas bêtes les bêtes, lorsqu’elles ont la possibilité d’éviter de se laisser empoisonner par les pesticides comme le font bêtement les Hommes ? Pensais-je.
- Et les risques sanitaires ? Précédemment j’ai abordé le sujet délicat, cultivé comme un tabou, à propos des dangers des pesticides sur la santé. Nous attendons toujours que les personnes qualifiées pour le faire prennent enfin la parole à ce sujet. Des statistiques existent mais où sont-elles ? Il faudra bien un jour les sortir des tiroirs secrets mais en attendant, je peux encore rajouter une anecdote que nous raconta le directeur d’une grande école d’agriculture : Un de ses amis Breton qui devait être opéré profita de l’occasion pour demander à son chirurgien de lui prélever un petit morceau de graisse. Le prélèvement fut remis à un laboratoire d’analyse vétérinaire sous l’identité « gras de porc». Résultat : Impropre à la consommation humaine, contient trop de pesticides…
- Et si nous franchissions le pas et passions notre ferme en agriculture biologique ? Après information, c’est impossible. Ethiquement, l’agriculture biologique française ne peut certifier des élevages de gibiers. Encore une cloison ??? gibier = chasse = barbarie… Et nos terres sans l’élevage, alors ? Ah, non ! c’est la totalité de l’exploitation ou rien… Ok, notre ferme ne pourra pas avoir la certification bio parce qu’elle élève des animaux non référencés au cahier des charges de l’agriculture biologique. Moi qui naïvement pensais que la bio c’était simplement de ne pas empoisonner ses terres et les consommateurs avec des produits chimiques ? Le respect des animaux ? Pourtant s’il y a des animaux qu’on ne peut élever que si on les respecte, ce sont bien les animaux sauvages ! Ils n’ont pas été manipulés par l’homme comme les animaux domestiques, ils sont restés cyclés au rythme de la nature et demandent beaucoup d’espace et d’attention. Donc pour les élever il faut créer et respecter un cahier des charges adapté à l’animal et non comme dans l’élevage industriel, adapter l’animal à un cahier des charges. Elevage de gibier : 10m2 par faisans ! Elevage de volailles industrielles : 16 poulets au m2. Tu vois la différence ? Et la différence est de taille et devra servir de support de réflexion pour reconstruire une nouvelle agriculture respectueuse des animaux ! Et plus l’espace est grand et plus l’animal est bien et plus les risques de maladies sont diminués. Les maladies qui se développent actuellement proviennent de la concentration excessive en élevages industriels. L’abattage par surprise ou le stress de l’abattoir ? là aussi il y a matière à réflexion. Bref, selon la législation notre ferme ne sera pas certifiée bio.
- Diversifier avec une production à forte valeur ajoutée ? En agriculture, la seule solution est de raccourcir le circuit entre le producteur et le consommateur ? Oui, mais pour aller vers les consommateurs il faut du temps, beaucoup de temps et pour nous c’est impossible, nous avons trop d’occupations sur notre ferme. Ou alors… Il faudrait attirer les consommateurs chez nous ? Mais comment ? Notre ferme est très isolée, loin de grands axes, loin des villes, personne ne viendra ici. A cette époque, même les chasseurs venaient de plus en plus rarement. Nous devions effectuer nous-même les livraisons, le climat associatif se dégradant même chez les chasseurs, personne ne voulait faire le transport avec sa voiture personnelle “pour les autres”. Mais au fait… Et les touristes, ne sont-ils pas des consommateurs ? Et dans le Gers, le tourisme balbutiant n’a-t-il pas d’avenir ? Il n’y a pas de hasard, c’est à ce moment là que j’apprenais que la chambre d’agriculture du Gers proposait la première session de formation « tourisme vert » au château de Mons-Caussens, à 100km de chez moi. Je m’y inscrivais, j’étais le seul du lot qui n’avait pas de projet précis, je venais simplement réfléchir comment inviter les citadins sur ma ferme…
- 1989, la grande décision : C’est le printemps, un soir après le repas, Il a fait chaud aujourd’hui et ce matin j’ai épandu des hormones (désherbant sélectif sur les céréales) car mon champ à tendance à s’envahir de moutardes sauvages. Comme le désherbant agit plus rapidement quand il fait chaud, il doit avoir commencé à faire son effet, je vais aller voir. Et en rêvassant, moment de décontraction après une rude journée de paysan, je pars en balade dans le champ du Soulan (en occitan : champ coté sud, coté soleil). Au bout de quelques minutes je me rends compte que la chienne qui d’habitude ne me quitte pas d’une semelle, ne m’a pas suivi. Je ressens des bouffées de chaleur, la fatigue peut-être ? je continue à évoluer en constatant que ces saletés de moutardes flétrissent, c’est génial ! Mais il me vient peu à peu une espèce de tourniole, un vertige et mon visage est en feu, j’ai la sensation de manquer d’air. Après cette journée de chaleur, l’évaporation est encore active, l’odeur du désherbant est particulièrement rémanente. Je titube… Vite, je comprends que cette odeur me dérange, il faut que je sorte au plus vite du champ ! J’arrivais quand même à sortir et m’éloigner d’une dizaine de mètre de la parcelle et me laissais aller, je n’ai pas perdu connaissance, mais presque. J’étais mal, une forte migraine, des difficultés respiratoires… A cette époque il n’existait pas de téléphone portable… Une dizaine de minutes d’angoisse à quelques centaines de mètres de la maison… Puis sentant le malaise s’atténuer, je me relevais et rentrais lentement vers la maison avec un violent mal de tête. C’est durant ce retour titubant mais lucide que je pris la décision irrévocable : « Je n’utiliserai plus jamais de pesticides sur mes terres !!! »