Rassure-toi, je ne veux donner de leçon à personne, je réfléchis simplement, je refais le monde selon ma vision. Depuis quelques jours ma solitude retrouvée me permet de réfléchir à nouveau sur mon parcours. Tu peux accéder à ces écrits récents dans la colonne de droite « Réintroduction de l’Homme dans la nature ? Chiche ! »
Chez les paysans, il est impossible de décortiquer un emploi du temps. Il n’y a pas d’un coté la vie privée, de l’autre le métier, tout est si intimement lié qu’on en vient même à s’intéresser à l’avenir de l’Homme intimement lié à l’avenir de la nature sans qui il n’est rien, il semble l’avoir oublié...
Revenons à nos daims et commençons par le commencement : Bien avant 1991, on parlait déjà des daims sans dédain, Bouddha s’était retiré dans la forêt près d’une source cristalline pour y recevoir la Lumière, il s’entoura d’animaux dont le Daim à la Grande Sagesse…
Au risque de déranger les amis de Bambi de Walt Disney, mais je suis sûr qu’ils comprendront mieux s’ils suivent le cours de mon histoire, sachant qu’il y a aussi les amis des poules et des poissons, des agneaux et des salades (oui, la laitue est aussi un être vivant…), je parlerai maintenant de la qualité de notre alimentation dans un contexte global de notre perception de la Vie, tout étant intimement lié comme l’enseigne la médecine chinoise. Jusqu’à nouvel ordre l’Homme est omnivore, à fortiori le Gascon, ce qui n’empêche pas de respecter ceux de notre espèce qui préfèrent se nourrir exclusivement de végétaux, à condition d’avoir atteint l’âge adulte – en émettant toutefois certaines réserves : maternité, santé fragile… – (où je m’embarque ? je ne le sais pas moi-même…)
De la qualité de vie des animaux qui nous nourrissent dépend la qualité de notre alimentation et par voie de conséquence, notre santé, tout étant intimement lié. Ces dernières décennies, la pseudo qualité de l’agroalimentaire dictée par nos cols blancs s’est focalisée sur l’aseptisation. Mais l’aseptisation de quoi ? Et puis à elle seule, n’est-elle pas un danger pour l’Homme ? Et la qualité de nos anticorps alors ? Et la qualité du produit de base alors ? Et son impact sur la nature, sur la santé ou simplement sur le goût ? Importent-ils si peu ? Pour n’utiliser que des termes convenables, la pseudo-qualité prônée par l’industrie agroalimentaire est souvent « douteuse » même si en théorie elle se réfugie derrière des normes qu’elle a elle-même téléguidée jusque dans les tours de verre bleuté. Sans parler des produits manufacturés, as-tu déjà comparé une viande industrielle à une viande fermière ? Un jaune d’œuf industriel à un jaune d’œuf de poules gasconnes en plein air? Un veau industriel à un veau sous la mère ? Un poulet industriel à un poulet gascon bio (à quand l’AOC de Poule Gasconne Bio ?) ou à un poulet label de plein air « Poulet du Gers » par exemple ? Malheureusement de nombreux paysans qui savent pourtant tout ça, pour sauver leur exploitation ont été obligés souvent à contrecœur d’adhérer à des systèmes intégrés d’élevages industriels sous la pression du lobbying de l’industrie agroalimentaire accoquiné aux banques et au commerce mondialisé, dominant de la même façon les consommateurs.
J’ai la chance d’être un peu fou, doté d’une naïveté infantile, ce qui me permet d’oser tout d’abord réfléchir sur le fond des choses puis de tester ma vision idéale de l’agriculture du futur. Disons que je n’ai pas trop le choix. En effet, vue ma condition sociale, la seule façon réaliste de proposer des idées, c’est de faire. Mais l’avantage c’est qu’un paysan quand il fait librement, il sait ce qu’il fait. Certes, mes revenus flirtant plus du coté du SMIG que de ceux de George Soros, c’est faire prendre beaucoup de risques économiques à ma famille pour défendre mes idées, bien plus qu’un grand Yaka technocrate, philosophe, universitaire ou politique qui déclarerait du haut de sa tribune : Yaka faire ceci, Yaka faire cela, ils n’auraient pas du faire comme ça, etc. en laissant aux autres les risques de leurs décisions. Mais apparemment ces gens-là ont peut-être plus de mal que ceux du terrain à émettre des idées réalistes car il faudrait tout d’abord remettre en cause des certitudes acquises lors des trente glorieuses dont ils ont été gavés sur les bancs de l’ENA.
Ce qui n’arrange rien à une souhaitable remise à plat globale (rappelle-toi les cloisons de notre société qui empêchent tout débat), c’est que nos petits cerveaux fragiles ont été eux aussi formatés durant des décennies pour imaginer notre futur et sa modernité dans un pseudo-idéal artificiel, complètement dénaturé, quelques petits hommes verts vivant dans des bulles sous oxygène sur une planète ravagée et hostile, même pas sûr que ce soit la Terre, se nourrissant de petites pilules chimiques et pianotant sur un IPAD oublié sur une table de bar, un joujou qu’ils ont tant désiré grâce à un marketing savamment orchestré. Est-ce bien ça dont nous rêvons ? Il est vrai qu’à force de scier la branche sur laquelle nous sommes assis, nous en prenons insensiblement le chemin. Mais analysons ce futur proposé, ne serait-il pas réservé à une petite élite ayant survécue à la destruction des fragiles équilibres ? Ces équilibres qui permirent la Vie sur Terre jusqu’à ce l’homo sapiens ne se transforma en l’homo modernicus prédateur que l’on connait. Mais cette intelligence supérieure, à ce stade de son évolution, ne se serait-elle pas trompée de sentier dans le labyrinthe de sa recherche éperdue et légitime du bonheur ?
Et si on réagissait ? Et si on s’inventait un avenir où nous retrouverions progressivement notre place dans un espace généreux que nous n’aurions jamais du quitter, juste au moment où enfin, après l’avoir subie durant des millions d’années, nous avions appris à connaitre la nature. Ces derniers siècles, le génie humain a permis progressivement de comprendre la vie, mais croîs-tu que ce con qui se prétend l’être le plus intelligent de la planète se servirait de ses nouveaux savoirs pour essayer de mieux vivre en harmonie avec la nature sans qui il n’est rien ??? Non, au contraire, au fur et à mesure qu’il améliore son savoir, il l’utilise à la défier, à vouloir la modifier, à essayer de la dominer comme une espèce de vengeance d’homme des cavernes ! Il est dommage que ce soit une canicule, un tsunami, un tremblement de terre, une tempête, un raz de marée, un volcan, tous ces phénomènes normaux qui ne viennent tout à coup nous en faire prendre conscience alors que si nous avions intégré ces paramètres dans notre mode de vie, cela aurait limité considérablement les risques. Alors dans ces cas là on évoquera la fatalité, elle a bon dos, et on invoquera les nouveaux dieux assureurs de la religion de la consommation qui vivent au dépend de ces êtres rendus faibles, ignares et déconnectés de la réalité de la Vie…
Et l’Eden dans tout ça ? Après ce tableau brossé un peu caricaturalement, revenons à nos daims donc. J’ai trouvé cet animal tellement symbolique par rapport à la philosophie qui m’anime ! Dès 1991 notre petite ferme familiale après quelques années de spécialisation s’apprêtait à se lancer dans cette nouvelle aventure. Le troupeau de daims prévu, sans remettre en cause le support économique des autres élevages, investirait les surfaces de notre ferme qui étaient jusqu’alors utilisées pour la culture céréalière. Juste retour des choses pour des terres de coteaux qui sont idéales pour l’élevage. Un gros chantier en perspective car il faudrait construire des clôtures conséquentes représentant plusieurs km de grillage de 2 mètres de haut ; Ce sont des animaux sauvages particulièrement sportifs qui ont besoin de grands espaces, de prairies pour se nourrir, de forêts pour s’abriter, 3 daims à l’hectare, rien à voir avec des poulets industriels en bâtiments obscurs, climatisés et aseptisés (16 au m2)... Pour ce projet encore une fois hors des sentiers battus, il faudrait avant tout s’intéresser à la commercialisation et c’est là qu’entrait en jeu le tourisme vert. Tout un puzzle dont je détenais maintenant chaque élément, du moins dans ma petite cervelle. Du rêve vint l’idée, de l’idée naquit le projet d’où découleraient des chiffres…
La PAC, politique agricole commune était en pleine réforme, le GEDA groupement d’étude et de développement agricole de Lombez-Samatan en guise de cérémonie funèbre, organisa une grande journée de rassemblement initiée par la FRGEDA Midi-Pyrénées (Fédération régionale des groupements d’étude et de développement agricole) dans la Halle aux Grains de Samatan, avec pour titre : « Imaginer le futur pour gérer le présent », tout un programme qui m’enthousiasmait mais dans un contexte qui ressemblait étrangement à une démission, à une éloge funèbre de cette agriculture nourricière dont nos aïeux avaient rêvé pour nous et que nous livrions en pâture aux rapaces cotés en bourse. Déjà bien connu dans le milieu local pour mes idées folles et pour notre ferme bizarre, avec mon épouse nous étions conviés au podium pour y présenter notre parcours bizarre et nos projets aussi étranges. Alors que toute décision, de la production à la commercialisation, échappait peu à peu aux agriculteurs, de la même façon que leur échappaient leurs coopératives, leur banque, leurs mutuelles qu’ils s’étaient eux même créés, je me souviens avoir dit en conclusion de notre intervention : L’outil le plus important de notre ferme, c’est le téléphone… sous entendu, nous gardons le choix, la maîtrise et la responsabilité de ce que nous produisons jusqu’à son destinataire.
A mon grand étonnement, le projet des daims intéressa quelques agriculteurs voisins qui comme nous, avaient beaucoup de mal à accepter la nouvelle féodalité qui commençait à prendre l’agriculture européenne en main. Bonne chose ? Mauvaise chose ? Sur le coup j’ai eu peur et j’ai pensé : Jeannot, comme d’habitude t’as trop parlé et tu t’es fait piquer ton projet… Mais non, restons positif !
A suivre.