Je t’avais prévenu que ce serait long parce que je suis plutôt romancier, j’ai du mal à synthétiser parce ce que j’aime aller au fond des choses : « le local dans le global »
Mon récit pourrait commencer ainsi: « Alors que j’étais enfant, ma grand-mère Giuseppina trouva un nid de faisanes au bord du pré en gardant ses dindons. Elle ramena les œufs à la maison et les mit sous une glousse (poule gasconne couveuse). Mon oncle Ange encore adolescent construisit un petit parc au fond du jardin… »
Mai 68 : Lorsque je terminais la première partie de ma formation agricole mes parents proposèrent que je m’installe comme aide-familial, un statut qui n’en était pas un (il me pénalise d’une dizaine d’années de cotisations pour ma retraite…) mais en attendant mieux il me permettait une petite couverture sociale pour participer aux travaux de la ferme. La condition sine qua non était de créer mon propre emploi, c'est-à-dire de m’inventer un outil de production sur un minimum de surface. Nous jugions utile que j’aille d’abord voir ailleurs, que j’aille encore faire des stages professionnels pour affiner ce projet.
Mes parents élevaient des moutons et de la volaille de plein air et furent parmi les éleveurs précurseurs qui s’associèrent début 70, le poulet du Gers élevé en plein air naquit de cette union. Je fus moi-même un temps au conseil d’administration de cette première petite coopérative Codigers lors de la création du label Avigers.
Mais revenons à nos moutons : Durant l’été 68, Frère Xavier, un moine cistercien ami de la famille, proposa que je vienne en stage sur la ferme de son monastère de Sept Fons dans l’Allier. A cette époque il connaissait ma situation et mon trop plein d’énergie créative, en m’invitant il avait déjà une idée en tête : Me faire découvrir une production qui conviendrait bien à mes recherches.
Dompter l’indomptable ! Il serait donc possible de vivre de sa passion ? Près du monastère, à St Pourçain sur Besbre, un élevage de faisans débutait. Passionné par l’aviculture, je fus immédiatement conquis par cet élevage, je n’avais jusqu’alors pour approche de ces oiseaux sauvages que le couple de faisans que j’admirais depuis mon enfance dans le petit parc au fond du jardin de mes grands-parents. « Jeannot, si cette production t’intéresse, va y fonce ! Elle balbutie encore mais un marché est entrain de naître ! Fonce, tu seras le premier de ta région ! Dans les prochaines années, les nouvelles techniques agricoles vont profondément modifier le biotope du gibier naturel, il va progressivement disparaître, les chasseurs devront s’organiser pour préserver leur loisir et lâcheront du gibier artificiel… ».
Pari gagné ! Je n’avais pas assez de maturité pour juger d’une telle prospective mais je faisais confiance à Frère Xavier. En revenant sur notre ferme fin 68, avec mon père nous construisions les premières barricades, je veux dire les premières volières. Première année 30 faisans, deuxième 300, puis 1000… Chaque année je réinvestissais tout ce que je gagnais sans jamais arriver à fournir la demande grandissante, puis 10000..etc. et des perdrix et des cailles… Cela créa même des emplois sur notre petite ferme qui n’était théoriquement pas viable…
Formidable ouverture sociale : Notre ferme, pourtant très isolée dans les coteaux du Gers était fréquentée par des centaines de clients. Ils venaient se ravitailler en gibier et nous passions beaucoup de temps à bavarder, j’étais le plus souvent en position d’écoute. Chacun me parlait des problèmes de la disparition du gibier naturel sur son petit territoire. Personne ne comprenait ce qu’il se passait. Jusqu’à 300 organisations de chasse défilèrent sur ma ferme, j’avais ainsi une vision régionale de l’état de la nature. Certes, ces dégâts nous étaient profitables mais quand même... Je me m’inquiétais de plus en plus.
Dès les années 75, encore trop timide pour ouvrir un débat de fond avec mes clients qui étaient souvent des agriculteurs, je m’interrogeais déjà sur des sujets que notre société commence à peine à aborder maintenant. A ce stade là, je ne pouvais qu’associer la disparition du gibier à celle des poissons de nos rivières ou les grenouilles de nos mares.
Années 80 : Les années passant, je constatais que le mal ne faisait qu’empirer, des frayeurs commencèrent à me traverser l’esprit : Si ça continue, l’Homme pourrait être concerné ? Et puis cette sensation de malaise : les idées qui progressivement m’envahissent vont “à première vue” à l’encontre du développement économique dont nous profitons tous. Je participais quand même à tout ce qui me permettait d’être en contact avec mon environnement social : Groupement de développement agricole, associations, syndicalisme, conseil municipal, formations, tourisme vert. Mais tout ce qui s’étayait dans ma petite cervelle de paysan allait à contre-sens de ce que j’entendais. Mais alors à qui parler ? Que faire ? A cette époque je n’écrivais pas encore et puis je ne me sentais toujours pas la force de défendre mes idées.
Peu à peu émergea de ma petite cervelle primitive une réponse logique à mes inquiétudes: Et l’agriculture biologique ?
A suivre.