Un petit tour à la ferme ce matin avec mon appareil photo et un peu de répit entre deux dossiers me permettent de refaire le point avec le projet qui m’a amené au village d’enfants, il y a quelques années déjà…
On l’a longtemps appelé “le projet de la ferme pédagogique”. Il faut dire que le chantier était énorme, une ferme existante certes mais abandonnée depuis la fin de l’ère soviétique. Autant dire carrément: “45 hectares de terres en friches, presque du taillis par endroit, et les bâtiments de l’ancien sovkhoze pratiquement tous en ruines. Nous avons conçu un projet de grande envergure: une ferme pédagogique pour sensibiliser nos enfants intéressés par les métiers manuels, le système d’apprentissage n’existant pas ici, pour certains une thérapie car la nature et les animaux nous ramènent au réel, un lieu occupationnel pour d’autres, une ferme qui pourrait dans le futur être ouverte au public pour faire partager notre souci du respect de l’environnement et notre souci d’ouverture vers les autres, une ferme bio pour respecter la terre, les animaux et les hommes, conservatoire de races animales locales à faible effectif pour préserver la biodiversité, mais aussi une ferme productive, on ne vit pas d’amour et d’eau fraîche: il est bon pour nos jeunes de vivre dans un contexte où le travail et le souci de rentabilité soient présents. On doit leur donner conscience que l’argent ça ne tombe pas du ciel…
Il a fallut trouver les sous pour engager les travaux de rénovation mais aussi nous étions en recherche d’un responsable. Car ma mission ici est “chef de projet” et non chef d’exploitation, je ne pourrais prendre peu à peu des distances avec cette réalisation que lorsque l’homme ou la femme qui prendra ma place sera fiable et capable de gérer la production en vitesse de croisière. L’argent ce n’est pas facile à trouver, j’y passe pas mal de temps mais les hommes responsables encore moins, du moins dans le contexte local où l’ambiance soviétique est encore (très) pesante: manque d’initiative, de sens de l’engagement, de sens des responsabilités, du commerce, de vision globale, de prospective, de motivation au travail, de compétences sans oublier une bonne partie des hommes qui ont sombré dans l’alcoolisme une autre plaie de l’ancien régime qui créa la désespérance. Le régime soviétique a déstructuré le cerveau humain, c’est très grave… ( Soyons vigilant avec l’ultra-libéralisme qui pourrait créer les mêmes effets pervers…Attention au dictat des tours de verre bleuté de Bruxelles…). Moins chez les femmes lettones qui sont des battantes et qui doivent assumer tout ça en plus du reste... Nous avons fait plusieurs fois l’expérience d’embaucher des hommes du coin, chaque fois ce fut un échec pénible pour tous…
Nous avons progressivement redonné vie à cette ferme, il reste encore à faire mais petit à petit nous en arrivons à la phase de vraie production. Pourquoi avons nous tant tardé à démarrer ces productions dont nous parlons depuis longtemps, le troupeau de moutons par exemple ? Nous avons commencé par ce qui coûtait le moins, faute de moyens financiers pour attaquer des grands chantiers tel que l’ancienne porcherie du sovkhoze de 800m2 que nous avons désignée comme le futur corps de ferme. Nous n’avions aucune machine non plus. Après avoir progressivement réaménagé les terres, enclos une trentaine d’hectares, nous restions toujours avec le souci de loger confortablement les animaux domestiques durant les très longs hivers et parfois très froids aussi. Moi, j’ai vu -36°c, Christophe qui était là 10 ans avant moi a vu -42°c.
Des petits bâtiments ont été rénovés pour accueillir les premiers animaux car nous avions conscience que la réalisation finale serait très longue et en attendant Il fallait intéresser nos jeunes présents. Ce fut positif et ça continue de l’être à ce niveau là. Plusieurs de nos ados se sont rapprochés de la ferme dès le départ du projet: attirés soit pas la passion des animaux, soit par la mécanique, soit par la construction ou encore la conduite d’engins. Depuis ce temps, certains de ces ados devenus adultes après avoir suivi des formations adaptés à leur sensibilité, ont pris à cœur les travaux et quelques responsabilités de la ferme. A ce moment là, nous ressentions une véritable bouffée d’oxygène en comprenant que le ou les futurs responsables de la ferme que nous recherchions (désespérément) se trouvaient sans doute parmi nos jeunes ! Agnese qui avait suivi une formation vétérinaire ouvrit la voie. Depuis deux ans, Normunds avec sa formation de menuiserie mais très passionné par tous les travaux de la ferme, de la conduite d’engins fit aussi sa place dans cet univers. Tous deux sont salariés de la ferme. L’esprit d’initiative et le sens des responsabilité que nous nous désespérions de trouver à l’extérieur étaient dans nos murs ! Nos enfants, élevés hors de ce contexte soviétique ont bien intégré en eux toutes ces qualités ! Encore un constat heureux de la réussite du projet du village d’enfants dans son ensemble !
Revenons à nos moutons: Cette année 2011, nous entrerons un troupeau de race locale avec un nombre suffisant pour se faire la main et ensuite, 2012 on fonce avec une production pour assurer au moyen l’équilibre financier. Les moutons se rajouteront au troupeau de daims que nous laissons croître dans les grands parcs, nous en avons actuellement 22. Il y a les chèvres, les poney, âne et jument. L’hiver prochain l’aménagement du corps de ferme, même s’il ne sera pas complètement achevé permettra de loger confortablement tous les animaux en hiver, ce qui facilitera aussi les soins. On y arrive enfin ! Il y a aussi le verger et surtout le jardin potager bio qui prend de l’envergure, il permet d’améliorer la qualité de l’alimentation de nos enfants, c’est aussi un lieu occupationnel et qui sait, formateur pour des jeunes qui pourraient y trouver vocation ?
Ce matin, avec Agnese, j’ai fait le tour des écuries, les animaux sont en pleine forme, bien ronds, les mamans chèvres auront leurs petits dans 1 mois et au printemps, notre ponette Osa pourra convoler en juste noce avec le voisin pour nous faire un bébé au printemps 2012. Quant à mon asinothérapeute agrée, Maria Louisa, difficile de lui trouver un mari, les ânes ne courent pas les rues en Lettonie. Mais peut-être accepterait-elle un étranger ? Des ânes, il n’en manque pas en France !
L’hiver prochain tous les animaux de la ferme pédagogique seront logés dans le grand bâtiment de 800m2, là haut sur la colline de l’ours, pas loin du chêne de la Dame Blanche qui fait angle de la forêt, à gauche de la photo.