Par où commencer ? Comment aborder ce sujet si sensible ? Comment synthétiser une si longue histoire ? Depuis le début de mon journal, j’ai essayé plusieurs fois en vain de me lancer dans ce récit qui me tient pourtant à cœur, qui me tient le cœur, qui me serre le cœur. Comment le faire partager ? Peut-être y parviendrai-je un jour ? Ai-je tous les détails, toutes les vérités pour en parler sans risquer de troubler ceux de ma famille qui se reconnaîtront dans l’histoire que je vais tenter de reconstruire ? Disons que c’est ma vérité que j’interprète avec les éléments dont je dispose dans mes souvenirs. C’est mon Italie à moi, celle qui est gravée dans mon disque dur…
L’Italie, c’est plus qu’une découverte, plus qu’un mythe, plus qu’un rêve, c’est une partie de moi-même ! Dans mes veines circule 50% d’Italie qui irrigue tout mon être jusqu’aux bout de mes empreintes digitales. Français je le suis, j’en suis fier, aussi fier que d’être devenu Européen, mais je vais être plus précis encore ! Au diable les frontières ! Latin, oui, je suis avant tout un Latin et je le revendique parce que je le porte en moi et espère l’irradier autour de moi, le transmettre aux générations qui suivent. L’Italie, même si je suis né et j’ai grandi en France, c’est une grande partie de ma vie, celle qui se construit dès sa naissance et durant sa petite enfance. Des noms de villages comme Bagnarola, Sesto al Reghena, Portogruaro… sont des mots inscrits dans 50% de mes gènes. Comment cela a-t-il commencé ?
Vers 1930. Non ! Je n’étais pas né ! J’ai les cheveux gris, mais quand-même ! Le dictateur Mussolini est au pouvoir en Italie depuis plusieurs années et les fascistes font régner la terreur dans les campagnes. C’est la misère, la désolation. Il n’y a plus de travail et le peu de production est réquisitionné, pillé, volé. A Bagnarola, non loin à l’Est de Venise, mes grands parents maternels, jeunes mariés, vivent en plus une difficile cohabitation avec frères, sœurs et enfants dans un appartement exigu et plus que modeste. J’ai eu l’occasion de le visiter il y a quelques années. C’est une aile du château, maintenant transformée en grenier à foin. Il n’en reste que la grande treille au dessus de la porte. Elle donne encore un semblant de vie mais laisse comprendre qu’une histoire s’y est vécue.
Pour nourrir la famille, seul mon grand-père Giovanni travaillait à la distillerie locale et les 35 heures n’existaient pas encore (!!!). Il me racontait qu’il voyait rarement ses enfants ailleurs que dans leur lit. Il partait en vélo au travail avant le jour et n’en revenait que lorsque sa petite famille dormait déjà. Changer de vie ? Emigrer ? La question bouillonnait depuis un certain temps dans l’intimité du jeune couple. D’autres l’on déjà fait. Oui, mais ce serait à contrecœur, car leurs racines sont là depuis des siècles. Même leur nom de famille est celui de la rivière locale ! Leur histoire, leurs familles respectives, leurs amis sont là, tout autour de Bagnarola et aussi sous les cyprès du petit cimetière sur la route de Portogruaro.
Les événements se bousculent, on pressant encore une nouvelle guerre, comble de la folie des hommes. C’en est trop ! Trois enfants en bas âge, quel espoir, quel avenir pour eux dans cette ambiance pourrie ? On parle d’autres pays où il y aurait du travail et surtout où la vie semblerait plus paisible pour y espérer un avenir plus optimiste. Le couple décide d’avancer dans ce projet. Mais comment partir alors que, à part Giovanni pour l’armée, ni l’un, ni l’autre comme leurs ancêtres, n’avaient été plus loin que le village prochain. Mon grand père me racontait que son grand-père avait du se rendre chez l’arracheur de dents de la ville voisine. Avec son âne et sa carriole, il était parti tôt le matin. Plus il s’éloignait de Bagnarola, plus il découvrait l’insoupçonnable ! Il y avait encore d’autres maisons tout au long de son chemin !!! Et même plus loin, jusqu’à l’horizon !!! Alors imaginons ce que devait être pour eux le fait d’envisager une émigration avec leurs enfants si jeunes ? Partir sur la lune ?
Déjà, quelques amis ou parents ont franchis le pas et se sont installés aux quatre coins du globe, un peu au hasard, là où il y avait des possibilités de travail et surtout de Liberté : Argentine, Angleterre, Etats-Unis, Australie et aussi …la France, terre d’accueil depuis la nuit des temps ! La France qui souffre à cette époque d’un manque important de main d’œuvre et notamment dans les mines de charbon du Nord où quelques membres de la famille ont déjà émigré. Il y a aussi des possibilités dans l’agriculture du Sud-Ouest. Beaucoup de fermes sont à l’abandon et il y a besoin de bras sur les grosses exploitations viticoles ou dans la construction. Giovanni a toujours eu un faible pour la France, le pays de la Liberté, de la Dignité.
Pour prendre un exemple que je connais, sur les deux milles dernières années, on peut estimer que plus de 35 nationalités différentes se sont installées dans le Sud-Ouest de la France ! Et notamment durant le moyen âge où les chemins de St Jacques de Compostelle étaient en pleine activité. Et cela continuera d’exister ici ou ailleurs…Et c’est bien ainsi ! Pas de risque de consanguinité !
Printemps1932 : La famille participe à la vie de la paroisse de Bagnarola. Un pèlerinage à Lourdes est annoncé. C’est à 1500 Kms en train. « J’y vais ! » décide Giovanni qui voyait ainsi une opportunité pour assembler son puzzle. « De là, je ferais un saut dans la région toulousaine pour y retrouver des cousins qui ont repris une ferme en métayage (location avec paiement en nature) et avec leur aide, essayer de rechercher quelque chose de moins misérable pour nous… »
Avec cette idée derrière la tête, Giovanni va donc profiter de ce voyage organisé et s’éclipser du groupe quelques jours pour se rendre à quelques 150 Kms de Lourdes, visiter les cousins près de Toulouse. Leur ferme est toute proche de l’abbaye Sainte Marie du Désert et ils ont de bons contacts avec les moines trappistes. Là, il ira se présenter et trouvera enfin cet emploi de forgeron-mécanicien à la ferme de l’abbaye. Un petit salaire est proposé, mais avec des avantages en nature et notamment la possibilité de restaurer une fermette en ruine toute proche de Saint Bernard, son lieu de travail. Il signe un contrat de travail qui lui permet de rester en toute légalité. Avant de pouvoir faire venir sa famille, il doit demander un permis de séjour qui ne sera accordé que lorsque lui même aura travaillé plusieurs mois en France. Giuseppina, ma grand-mère restera donc six mois, seule en Italie, à élever ses trois filles dont l’aînée a 6 ans seulement.
Durant l’année 1932, Giovanni est seul en France, sans aucune connaissance de la langue, au milieu des moines trappistes qui à cette époque n’avait pas le droit de parler et utilisaient le langage des signes comme les sourds-muets. Finalement c’était aussi bien pour lui, il arrivait à communiquer ! Comment faire avec les autres salariés parlant le patois local, l’alsacien, le lorrain ou…le polonais ?
Il va commencer à travailler à la forge de l’abbaye. Il peut ainsi mettre rapidement en valeur ses talents d’inventeur et d’innovateur. Avec l’aide des moines, tout son temps libre sera utilisé à préparer l’arrivée de sa famille. Il va restaurer deux ou trois pièces de la ruine d’En Laurens, que la famille baptisera « Saint Laurent ». Six mois plus tard Giuseppina et sa suite arrivera enfin dans son Paradis ! Enfin la Liberté, enfin la sérénité ! La maison est d’un confort très modeste, mais elle s’y trouvera tellement bien pour y élever ses enfants, que jamais une seule fois elle ne cherchera à retourner dans son pays !
« La France nous a accueilli, nous devons la remercier et tout faire pour nous intégrer ! Nous devons apprendre le français au plus vite !» annoncera Pépé Giovanni à sa nichée ! Pour les enfants ce fut facile grâce à l’école du village de Bellegarde Sainte Marie et son instituteur Mr Gouzy qui favorisa une intégration rapide. Giovanni, qui côtoyait du monde à l’abbaye y parvint aussi, bien que l’accent italien le poursuivit toute sa vie. « Ma céla loui donnait oun charme ! » Quant à Mémé Giuseppina, c’est le langage européen que j’ai le plus aimé de ma vie ! C’était un mixage latin avec une prédominance de patois furlan, mélangé à l’italien et quelques mots français, souvent déformés, qui se baladaient çà et là. Hormis la famille, peu de gens la comprenaient. Mais pour moi c’était un vrai régal pour les oreilles ! Ma mémoire l’entend encore… Pourquoi ? Sans doute parce que ma grand-mère a été et restera la personne que j’ai le plus vénéré au monde. Si tu as ou tu as eu la chance d’avoir des grands parents, tu comprends sans doute de quoi je parle…J’espère être moi-même à la hauteur pour que mes petits enfants me réservent la même place dans leur cœur !
Ma plus tendre enfance se passa à Bel Air, à 2 ou 300 mètres de Saint Laurent. Je dirai même mieux, j’ai passé les premières années de ma vie aux côtés de ma Mémé, m’imprègnant, je l’espère, de sa bonne influence. Puis à l’âge de 6 ans, lorsque ma famille déménagea dans le Gers, à 50 Kms de là, pratiquement chaque vacances scolaires, j’étais chez mes grands-parents, souvent en compagnie de mes cousins. Saint Laurent était aussi un paradis gastronomique pour nous…j’en ai encore les papilles toutes excitées en repensant aux bonnes confitures de figues ou de pastèques, aux gâteaux aux noix. Et ces marmites qui mijotaient en permanence sur la cuisinière au feu de bois ? Elles embaumaient la cuisine sombre dont la porte restait toujours ouverte, été comme hiver… « Mémé, donne-nous ta recette ? », « C’est très simple ! J’y mets de tout ! ». A chaque plat plus succulents les uns que les autres, elle rajoutait surtout beaucoup d’amour dont nous nous délections!
Ma grand-mère n’était pas allée bien longtemps à l’école, jusqu’à 13 ans et seulement l’hiver. Chez les pauvres, il fallait travailler très tôt pour aider la famille à subsister, pas le temps de flemmarder sur les bancs… Juste le temps d’apprendre à lire et écrire, ça suffisait. Sa philosophie, celle qui m’émerveille toujours autant, elle l’avait acquise dans une toute autre école, la plus dure aussi, l’université de la vie. Cela commença par la mort de frères, cousins et d’amis sur les champs de bataille, dans les tranchées de la sale guerre de 14-18, à la baïonnette. Certains ne furent jamais retrouvés… Puis il y eut les morts accidentelles de ses deux fils. L’un à l’âge de 2 ans qui s’éteignit dans ses bras, étouffé par un grain de maïs. L’autre, son dernier Ange né en France, avait 34 ans. « Malgré les souffrances et les malheurs, la vie doit rester une belle Aventure ! » C’est ce qu’elle démontrait chaque jour en étant toujours très agréable, communicative, gaie. Elle nous éleva en chantant, en plaisantant, en riant, en relativisant chaque « petite catastrophe », en mettant toujours en valeur les cotés positifs de chaque situation… En donnant toujours bien plus qu’elle ne recevait. Et pourtant elle ne possédait rien, juste le sourire et beaucoup d’Amour, mais c’était largement suffisant. Pour moi cela restera la plus belle leçon de la vie… En fait, c’est un bouquin sur mes grands-parents, sur ma grand-mère que je voudrais écrire ! Oui, pourquoi pas ? J’ai tant de souvenirs qui refont surface au fur et à mesure que j’écris en ce moment, dans la solitude de mon appartement letton… Je vais y réfléchir ! Mais il faudra que ma famille m’aide…
Il fallait être Français à tout prix ! La leçon dictée par Pépé Giovanni avait été bien apprise. Si bien que personne de ma génération née en France, ne fut initié à la langue italienne. C’est là mon grand regret. Bien sûr, tout jeune, nous comprenions bien les conversations des grands, mais à nous, on nous parlait seulement en français, même ma grand-mère (!!!). Il est vrai que nous étions une famille française puisque Papa est français et que Maman a été naturalisée française lors du mariage. Un bon exemple d’intégration ? Oui, sans doute ? Malgré tout, je pense quand même que c’est dommage…Lorsqu’on est petit enfant, il est si facile d’apprendre deux langues à la fois ! Mais je comprends aussi dans quel contexte cela s'est décidé et je respecte leur choix.
Et je comprends aussi toujours un peu l’italien à l’écrit comme à l’oral, comme la plupart des langues latines. Il n’en tient qu’à moi, de pouvoir l’approfondir pour m’en imprégner à nouveau… Mais cela fait beaucoup à la fois ! Il y a déjà l’anglais, le letton, le roumain, l’espagnol, l’occitan… Ma petite cervelle n’a pas été formatée avec autant de cases ! J’ai déjà du mal avec ma langue française et son calvaire de règles grammaticales et d’orthographe… Bref.
Cette Italie, je l’ai côtoyée toute ma jeunesse sans pouvoir la connaître. En moi subsistait un manque, un besoin très fort d’en savoir plus, de la découvrir. Lorsque j’en parlais, lorsque je cherchais à savoir, tous répondaient : « C’est une vieille histoire tout ça… Une histoire compliquée… C'était la misère. A quoi bon ? ». Quand mes grands parents disparurent, cette motivation ne fit que s’accentuer au fil des années. Je proposais aux membres concernés de ma famille, cousins, frères et sœur, un voyage organisé sur les terres de nos ancêtres où sont restés une partie de nos racines toujours vivantes… : « Bof… » Mais la proposition reste toujours d’actualité ! Qu’on se le dise !
Alors, en 1998 si je me souviens bien (ha ! ces diables de dates !!!) lorsque nos enfants furent adolescents, avec mon épouse Jocelyne, nous décidions d’embarquer toute notre descendance là bas pour une dizaine de jours. J’étais heureux, j’avais enfin réussi à sensibiliser mes enfants et ma femme ! Il s’agissait d’une véritable aventure car c’était la première fois que nous entreprenions un voyage aussi lointain et aussi proche à la fois. Nous partions en pèlerinage à la rencontre d’une partie de nous-mêmes…
Une Aventure...D’autant plus que c’était sans savoir, sans connaître. Nous avions juste une carte routière et l’adresse d’une des cousines de ma mère qui habite Portogruaro, à une dizaine de km de Bagnarola… Nous savions aussi que le bar-pizzeria sur la placette centrale, près du clocher de l’église de Bagnarola, était tenu par des cousins éloignés qui avaient vécu un temps en France puis en Angleterre et étaient revenus s’installer au pays. Mais nous ne les avions pas contacté. Nous emportions avec nous une tente. Nous trouverions bien un camping sur place…
C’était en Août 97 et non en 98 ! Sauf si ma mémoire me joue des entourloupettes, je me souviens maintenant que notre fille aînée M.A fêta ses 18 ans en Italie, à Bagnarola ! Elle marquait déjà son territoire en y installant quelques souvenirs mémorables ! On dit que l’on se souvient toute la vie du jour de ses 18 ans ! (hum, pas moi…)
Nous faisions les 1300 km d’un trait, partis tôt le matin du Gers, pour ne pas arriver trop tard en Italie. 13 heures d’autoroute, Bagnarola se trouvant à 60 km à l’Est de Venise. Nous décidions de nous rendre directement au bar-pizzeria du village. Ce fut un étonnement, une surprise pour nos cousins que nous n’avions pas prévenus et que je n’avais rencontré qu’une seule fois dans ma vie. Après une présentation historique de la famille, il fallait se resituer pour faire un travail de mémoire et de chronologie. « Ah, mais alors tu es le fils de la G… et non de…, je ne comprenais pas… ». Ils en étaient restés à la génération précédente ! Puis vint rapidement le soir.
Un camping ? la question étonna ! pas de camping dans la région si ce n’est sur la plage de la côte Adriatique, à une cinquantaine de km de là. « Nous sommes désolés, mais nous n’avons pas de place pour vous loger tous. Allez à Portogruaro, vous trouverez facilement un hôtel ! » L’hôtel, l’hôtel x 10 jours…Facile à dire mais pour nous c’est trop cher, nos moyens sont limités…Nous irons sur la côte, dans un camping. Et avant la nuit nous étions installé dans un de ses immenses campings avec des noms de rues ! Comme si les citadins n’en avaient pas assez d’être entassés les uns sur les autres toute l’année alors qu’il y a tant de place libre sur terre ! Nous ne garderons comme bon souvenir de ce lieu que la température de l’eau de la mer Adriatique en cette fin de mois d’août 97 ! Chaude comme dans une baignoire ! Mais le tarif du camping s’averrait aussi chaud. « Si nous ne trouvons rien de moins cher, dans trois jours nous repartons, nous aurons épuisé notre cagnotte… »
Le lendemain matin, direction Bagnarola. Notre cousin pouvait se libérer et fermer son bar quelques heures pour nous faire découvrir quelques parentés éloignées dont, pour certains, nous ne soupçonnions même pas l’existence. Et le pèlerinage émouvant commençait pour de bon… Ici, c’était la distillerie où travaillait Pépé, mais elle n’existe plus depuis bien longtemps. Je le revoyais avec son vélo et la petite bougie allumée dans la boite de verre qui lui servait de phare. Là, cette maison a été construite à l’emplacement exact où se trouvait celle où naquit Mémé… Déjà plein de souvenirs ressurgissaient, mon cœur se serrait de plus en plus, j’étais comme dans un état second… Je me rappelais, je revoyais les jeux de la petite Pina, puis la route qui la conduisait à l’école ou à la pêche à l'anguille dans le canal. Mais le temps semblait peu à peu prendre une toute autre dimension parce que cette nouvelle maison était déjà…vieille.
Ensuite nous sommes allés un peu à l'ouest de la bourgade, dans une petite ferme, où nous fûmes accueillis chaleureusement par une cousine de ma mère qui était née après leur départ en France. Elle ne connaissait de mes grand-parents et de leurs enfants que ce qu’elle avait entendu, raconté par les plus grands de sa famille. Elle était la dernière… et elle avait une soixantaine d’années… Et comme si nous nous étions connus depuis toujours. Comme si, nous les Français, nous comprenions depuis toujours l’italien. Comme si elle, l'Italienne comprenait bien le français, nous passions un long moment à refaire l’historique de plus de 60 ans d’absence …
Nous commencions à ressentir que nous revenions dans ce pays, comme si un élément du puzzle qui forme notre âme était resté là bas et que peu à peu, il reprenait sa place… Je crois que mes enfants en ressentirent aussi un tel sentiment, peut-être moins fort que moi qui avait emmagasiné bien plus de souvenirs de cette période de l’histoire de notre famille…
Le programme de la visite continuant, nous arrivions dans la cour d’une grosse maison au sud-est de Bagnarola, « le château » comme on l’appelle. Notre cousin, nous avait juste dit : "Nous allons maintenant voir la maison où vécut ta famille avant de partir pour la France." Nous fûmes accueillis à bras ouvert par le propriétaire qui avait été prévenu de notre arrivée. Il était un ami de la famille et nous reçut avec son épouse comme si nous étions de sa propre famille ! Il fallut descendre à « la cantina » (la cave), déguster le nouveau tonneau fraîchement ouvert de la dernière vendange. Mais aussi comparer avec les années précédentes déjà en bouteilles !
Un accueil mémorable, mais il me tardait de visiter la maison de ma famille… « Ils vivaient au bout de cette aile du château (qui est une grosse maison cossue). Mais maintenant, à l’emplacement des chambre du haut, on y met le foin…Allons y ». Comment décrire cet instant… Difficile de trouver les mots… mais je sais que certains de mes lecteurs ont vécu aussi ces moments émouvants en retournant en Algérie, en Lettonie ou ailleurs…
En poussant la vieille porte en chêne encore d’origine, sous la treille de la façade soleil levant, nous entrions dans… je ne trouve pas les mots.
Je suis dans l’unique pièce commune de la maison, la cuisine… Bien qu’en regardant les photos prises ce jour là où l’on ne constate « en réalité » que toiles d’araignées, planches pourries et poussière, il me semble pénétrer dans un lieu vivant, un lieu habité, un chez moi, « une chaleur humaine » que je ressens bien, que je connais bien depuis mon enfance. Mais de quelle réalité est-ce que je parle ? Effectivement, il se passe à ce moment là un phénomène étrange dans ma petite cervelle primitive inféodée par le matérialisme mais restant tout de même aux aguets de tous signes intérieurs de richesse. Mon cœur tout à coup s’accélère. Je ressens des présences familières, revois en quelques fractions de secondes des scènes de la vie quotidienne, d’une vie qu’il me semble avoir vécu. Phénomène étrange ? Serait-ce du à mon récent passage à la cantina (cave) ? Inquiétant ? Non, au contraire, je me sens dans un état second très agréable, indéfinissable... Des scènes de la vie quotidienne de cette humble famille qui est la mienne, défilent devant moi. Je ne te les décris pas, elles sont banales. « Mais tu délires ? Ce n’est même pas ta génération, tu n’es jamais venu ici ? » me ramène à la raison ma conscience ! Mais quelle « raison » ? Sont-ce des ondes intemporelles portées par ma lignée que je capte à cet instant ? Dans ce lieu même ? Ce qui pourrait expliquer l’existence même des fantômes ? (Rassure-toi maman, je vais bien. Je m’amuse un peu…) Probablement s’agit-il de toutes ces histoires dont ma jeunesse a été bercée ? Une Italie que je connaissais sans la connaître. La Nona toute de noir vêtue avec son fichu sur la tête, assise au coin du feu sur la petite chaise de paille entrain de préparer la polenta, les photos des oncles morts à la guerre accrochées au mur, la maison ensoleillée par les cris des enfants, le village et sa grande place animée, l’école des Sœurs, le jardin à la terre noire où tout poussait à merveille, le canal aux anguilles, le clocher-tour que je reconnaissais sans les avoir jamais vus, du moins dans cette vie...
Basta, revenons à « notre réalité », à Bagnarola précisément. En visitant ensuite le jardin au milieu de champs de maïs de 3 mètres de haut, notre ami le propriétaire de la maison nous questionna sur notre séjour. « Un camping à Caorle sur la plage de l’Adriatique ? Comment ça ? Allez immédiatement récupérer votre tente et venez ici a casa nostra ! Nous avons une maison aménagée en gîte. Elle est disponible pour vous ! Bienvenus, vous êtes nos invités !». Dans la soirée, nous nous installions donc dans cette petite maison à un Km du village. Cool ! Avec en prime l’amitié de cette famille qui nous ravitaillait en légumes frais du jardin et bien entendu en bon vin de la cantina ! Alora, nous restâmes ainsi les 10 jours prévus, ce qui nous permit de visiter les environs et même de pousser jusqu’à Venise, à une petite heure de là et à l’opposé, frôler la frontière Slovène à Trieste. Nous allions aussi à Padoue voir Saint Antoine. Nous a-t-il aidé à retrouver nos racines ?
Nous rentrions en France avec regret mais aussi avec une bonne motivation: Suite à l’invitation de notre ami, nous avions désormais un pied à terre chez nous, à Bagnarola. Mais, quelques mois plus tard, nous apprenions son décès… Plouf, tout tombait de nouveau à l’eau…
Quelques années plus tard, notre fille aînée, qui avait d’ailleurs fêté ses 18 ans là-bas, choisissait d’y revenir avec son mari pour leur voyage de noce. Ils furent accueillis avec le même enthousiasme. C’est sûr, elle y amènera ses enfants lorsqu’ils seront en âge de comprendre tout cela. Depuis, nous n’y sommes pas revenus. Ah si ! J’oubliais ma marraine, la sœur de ma mère qui est née là bas aussi, y est revenue ces temps ci pour la première fois avec son mari...Lors de notre séjour en Italie, nous avions rencontré plusieurs personnes qui avaient émigré, elles ou leurs parents, et qui étaient revenues s’installer au pays… Moi, j'y suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ce manque qui m'opprimait depuis mon enfance. J'y ai retrouvé un des éléments de mon puzzle qui me faisait défaut. Est-ce suffisant ? Je suis prêt à y repartir ! Je m’y sens un peu chez moi, comme d’ailleurs à la Motte de Galaure dans Drôme où sont encore présents les autres éléments de ce puzzle.
Voilà pour la petite histoire racontée à ma façon. L’histoire de cette partie de mes racines devenues bien françaises puisque mes grands-parents italiens sont pour toujours auprès de leur fils dans la paix, au petit cimetière de Garac près de Toulouse en France. Mais qui sait ? Peut-être leurs ondes positives vont-elles quelques fois en vacances à Bagnarola se reposer sur le banc de bois, à l’ombre de la grande treille ? Peut-être viennent-elles me voir jusqu’en Lettonie et peut-être sont-elles là en ce moment pour m’aider à finir ce paragraphe ? « Certamente! saremo sempre con te! », « Molte grazie! »
Alora, je voudrai dire simplement (mais est-ce si simple ?) aux jeunes des pays provisoirement déshérités, que fuir les problèmes est peut-être une solution, mais seulement à court terme, car on ne peut tout emporter. Un morceau de vous-même restera toujours là, à vous attendre. Il vous manquera toute votre vie et même durant plusieurs générations. Si les problèmes qui vous poussent à fuir sont purement matériels, il existe probablement d’autres solutions : Réunissez-vous, Stimulez vos esprits d’initiative ! Réfléchissez ensemble comment imaginer l’avenir de votre région en fonction de son potentiel. Chaque région à son propre potentiel de développement durable. Projetez-vous alors dans le futur avec tous vos atouts. Quels sont, quels seront les besoins futurs de la société qui vous entoure ? Comment pourriez-vous y répondre et valoriser ainsi votre potentiel ? Une fois définis les objectifs, mettez vous ensemble en marche en suivant votre cap, même si quelques fois le sentier vous paraît sinueux, tenez bon ! les soucis qui vous poussaient à fuir s’estomperont peu à peu et vous trouverez un jour votre équilibre. Vous serez fiers de vous ! Fiers d’avoir participé activement au développement de votre « Chez Nous » ! Ce sera votre Paradis et celui de vos enfants !
Rivedere all’Italia !