Hier matin, dans la blancheur immaculée de la Lettonie s'éveillant sous la protection de Saule qui heureusement n'était pas morte lundi dernier, j'étais invité par Elina à conduire le minibus pour accompagner un petit groupe d'enfants à Cesis. L'objectif de ce voyage était d'aller enquêter sur la prétendue "dame blanche de Cesis". Jusqu'alors nous avions seulement la certitude d'en avoir une chez nous à Grasi (voir en bas de la colonne de droite), mais selon certaines rumeurs, le château de Cesis serait aussi, dit-on, hanté par une fée ou un fantôme féminin vétue d'un grand voile blanc vaporeux...? Serait-ce la même que la nôtre ? Serait-ce un sosie ? Une usurpatrice d'identité comme il en existe fréquemment en Lettonie ?
A 10 heures pétantes, nous prenions donc la piste fraîchement nivelée par le chasse-neige, une route que si j'étais resté tranquillement dans le Gers au lieu de suivre cet élan de folie qui m'amena jusqu'en Laponie ou en Lettonie c'est pareil, je n'aurai même pas osé sortir la voiture du garage. Cette blanche piste qui allait nous conduire à 100 km de là, dans la banlieue sud de Cesis, au milieu des forêts lumineuses où pas un chasse-neige ne s'était aventuré de peur de ne pas en revenir. Cela me rappelle une citation d'André Cierp, célèbre philosphe paysan sabaillanais disparu prématurément, qui, lorsqu'on lui demandait: "ça va ?", répondait à chaque fois: "Pour aller ça va, mais le problème c'est pour revenir...!". Une sentence qui allait s'avérer, une fois de plus, vérifiée. Nous en parlerons prochainement.
Nous nous rendions pour commencer à la ferme des lamas. Un site fraîchement créé par une Lettone (qui ne me sembla pourtant pas être une Lettone des forêts mais plutôt une de Riga exilée dans la nature) pour agrémenter des chambres d'hôtes perdues au milieu des forêts et de le dire ce n'est rien... Site qui ne pouvait convenir qu'à un monastère qu'on aurait pu appeler Sainte Marie du Désert s'il avait été chrétien, mais là, il s'agissait d'une lamasserie. Mais ces lamas-là ne provenaient pas du Tibet que les Chinois auraient chassés, mais bien du Chili !
Sergeis aima immédiatement les lamas et c'est bien normal ! Sergeis = Serge et lama = Lama. Donc Serge Lama ! et Laima étant la déesse lettone de l'amour (il fallait la trouver celle-là, non ?). Par contre ces chameaux de chameaux, eurent moins de succès auprès des enfants. Même Silvija qui est une passionnée des animaux, qui fait cabrer une jument à 4 mètres de haut, s'éloignait lorsqu'un brave chameau s'approchait d'elle. "D'où sortent-ils ceux-là ? Jamais vu ça en Lettonie ? C'est pas des animaux lettons ça ?" Pourtant moi je les ai bien aimé ces chameaux là, ils avaient une bonne bouille, des vrais chameaux en harmonie avec ce désert perdu au milieu de nulle part. Mais, bon, au bout d'un quart d'heure, on avait tout vu, heureusement il y avait des balançoires pour chasser les bons gros futurs moustiques lettons. Bien que j'ai une variante sur ce sujet, les balançoires, emblêmes de la Lettonie, pourraient être également une manière physique de se dépoussiérer de l'intérieur, c'est à dire de ventiler le corps astral qui, tout surpris par cet élan inattendu de son support, n'arriverait pas à le rattraper, décalé de quelques mm par rapport au corps physique et ainsi tout le mal serait éliminé, recyclé comme le carbone par la nature. Pourquoi pas après tout ? Les Lettons sont très attentifs à leur hygiène intérieure, le sauna aussi a cette vocation de chasser le mal, par la sudation. Au risque de déplaire aux rationnalistes, je me pose toujours les questions du bien fondé de ce qu'on appelle "légende". Inféodés par le matérialisme, nous avons oublié tant de choses vitales ... et peut-être qu'après tout il n'y a pas que la balançoire pour "dépoussièrer" le corps ? Et le trampoline alors ?
Mais moi, ce qui me hantait depuis mon arrivée à la lamasserie c'était de pouvoir m'en échapper, non pas à cause des Chinois qui prépareraient une ambusquade mais parce que là où le chasse-neige n'était pas passé, il y avait des belles descentes qu'il fallait maintenant remonter ! C'est dans l'ordre des choses. Et mon inquiétude devait se justifier très vite. Une fois ma cargaison de petits embarquée, la galère se mit déjà à voguer dans ma tête. Ok, je vais prendre de l'élan et peut-être que j'y arriverai, à condition qu'il n'y ait pas une (c.. de) voiture qui arrive en face à ce moment là ! Mais il y avait tellement peu de chance car à midi j'étais le seul inconscient à y être passé !
Durant le premier km, tout va bien, comme sur des skis, alors voyant poindre la première côte et non la moindre (plus impressionnante vue d'en bas), comme convenu, je prends de la vitesse, mon coeur s'accélérant au même rythme que le bolide bien guidé par les ornières que j'avais préparé à l'aller. Il ne laisse pas paraître l'ombre d'un doute, il se sent sûr de lui, en troisième, environ 50 km/h, avec l'élan, pas de souci, j'arrive pénard au bout. SAUF QUE, cette (P.... de) voiture qu'il était si improbable de trouver en face... Et bien, ELLE Y ETAIT !!! La dame blanche de Cesis !!! Qui d'autre pouvait bien faire obstacle à notre destinée ! 5 mn plus tard nous aurions du arriver au château médiéval pour l'espionner ? Foutu, tout était foutu ! je perds mon élan en voyant quand même la voiture réussir à se garer, mais l'élan était perdu... Foutu... Ma galère stoppe, mais en plus elle repart en glissade en marche arrière. Ouïe, Ouïe, Ouïe !, alors je braque et elle s'enfonce dans la poudreuse de 50 ou 60 cm d'épaisseur. Ouf, pas d'iceberg caché. En travers, mais stabilisé, nous avons accosté... Tout le monde descent.
Mais la chance était avec nous. Le carrosse coupable eut honte, fit demi-tour plus loin et revint vers notre désolation. C'était un gros 4x4 piloté par le supérieur de la lamasserie qui nous prodigua la bonne nouvelle: il existe une autre voie moins difficile pour aller là haut. Essayez de revenir sur vos pas, vous faisiez fausse-route. Juste quelques 100 mètres et là, vous avez possibilité de reprendre le bon chemin. Je passe devant vous pour vous guider. Nous proposons aux enfants de continuer à pied jusqu' en haut, environ 1 km encore. Et moi, j'étais un peu angoissé, il faut le dire, à l'idée de partir en glissade en reculant. Je faisais part de mon inquiétude à ma coéquipière qui eut immédiatement la réplique juste: "De toutes façons on n'a pas le choix !". Je commençais donc cette marche-arrière mais en restant dans la neige épaisse (pas bête le mec !) ainsi, sans trop de problèmes je faisais les 100 mètres et demi-tour, en suivant le 4x4 non pas tibétain ni chinois mais japonais, je reprenais peu à peu mon rythme cardiaque normal au fur et à mesure de l'évolution sur la nouvelle piste plate suivant une vallée mais où sûrement aucune âme ne s'était aventurée depuis... va-t'en savoir ? C'était me semble-t-il une piste forestière de plusieurs km, mais qui progressivement nous ramenait sur le droit chemin. La preuve ? dès que j'empruntais la route, pendant 4 ou 5 km je suivis un chasse-neige ! Une grande boucle pour récupérer les chérubins qui attendaient patiemment au croisement de la lamasserie et vogue la galère... direction le château de Cesis où nous espérions le rendez-vous avec la belle. Un petit passage au purgatoire, un "Kafejnika" (restaurant ) soviétique dans les couloirs sombres des sous-sols de la salle de cinéma de la ville et nous voici revenu vers la lumière.
A notre arrivée aux portes du majestueux et célèbre château, une grand mère aux airs douteux de sorcière que certains auraient pu apparenter par erreur à une pierre, en tendant d'abord la main comme une mendiante, remis ensuite à chacun d'entre-nous une lampe allumée. C'est donc qu'elle se doutait bien de notre mission ! Qui d'autre que la dame blanche aurait pu lui donner l'information ? Nous étions sur la bonne voie (cette fois-ci !). "la voie est tracée, suivez votre destin" nous encouragea-t-elle. Et nous voilà tous en route dans ce beau parc où se trouvait non pas des pommiers, mais quelques beaux Ozoli (chênes) séculaires comme ceux de Grasi. A l'entrée de la lourde bâtisse quelque peu en ruine, mon ami Sergeis, sûr de lui avec sa bougie allumée, ouvrit la voie: "Entrez bonnes gens, la dame blanche nous attend...".
Durant une petite heure nous avons scruté chaque pièce, chaque couloir obscur, chaque escalier en colimaçon, chaque tourelle, le donjon, les sous-terrain, rien de rien, pas l'ombre d'une dame blanche ! Pourtant nous étions partis confiants. Mais dans le fond, et nous en avons longuement discuté durant le chemin du retour, heureusement que nous n'avons trouvé aucun indice... Nous aurions été très déconcertés de savoir qu'il existait une autre dame blanche ailleurs. La vraie, l'unique, c'est la nôtre ! Celle de Grasi !!!
Fatigués certes mais heureux ! Il fallait vivre cette expérience pour nous en rendre compte sinon, en écoutant les uns et les autres, on aurait pu croire qu'il y en avait d'autres...
Des mal-intentionnés souhaitaient peut-être nous piquer notre projet touristique ?