Tu peux retrouver la chronologie de mon aventure qui commença en mai 1968 (il n’y a pas de hasard) sur la colonne de droite du blog « Réintroduction de l’Homme dans la nature ? Chiche » Nous en sommes maintenant en 1990, la période charnière s’entrouvre…
- Le marché du gibier d’élevage se maintient, la nature est dévastée par l’intensification de l’agriculture, le petit gibier naturel à disparu mais des gigantesques élevages français qui jusqu’alors travaillaient à l’export commencent à venir paître sur nos platebandes. Ils commencent à s’intéresser aux petits clients français, nos clients. Certes ils ne cassent pas trop les prix car les marges sont limitées dans les productions agricoles, mais ils empêchent par la concurrence la revalorisation progressive de nos tarifs qui n’arrivent plus à suivre le cours de l’augmentation de la vie. Durant presque 20 ans, les derniers 20 ans de production gibier sur notre ferme, nous avons vendus nos faisans 58fr pièce. Au passage à l’€ le tarif fut transformé au centime près sans aucune augmentation possible au risque de perdre nos clients. Qui peut imaginer que son salaire n’ait pas été revalorisé durant 20 ans alors que l’inflation était de 4 ou 5% par an ? Bref, nos revenus baissaient chaque année, il fallait à tous prix diversifier, trouver des revenus complémentaires pour faire vivre la famille. Finie la période de croissance des premières années, le marché avait atteint ses limites et tendait même à nous échapper peu à peu.
Je refusais le choix vers lequel tout nous entraînait et auquel beaucoup d’entre nous suivant les conseils des comptables et des banques y laissent des plumes : Le mot magique de la croissance: Produire plus ! Produire plus voulait dire, trouver de nouveaux marchés inexistants ou alors à des « tarifs grossistes » ce qui signifie à prix coûtant. Et pour produire plus il fallait encore investir, s’endetter d’avantage, prendre plus de risques financiers et encore plus de travail physique et encore plus de soucis. Stop ! ça suffit, on essaie de préserver l’existant et au besoin, on préfèrera diminuer la production si nécessaire. Se placer sur d’autres marchés ? Impossible, il n’existe pas d’autres marchés que celui de la chasse, celui de la restauration est trop aléatoire et dessaisonné par rapport aux dates de production. Je m’interdit de modifier le cycle de vie de ces animaux sauvages qui ont la chance de ne pas avoir été domestiqués et vivent encore au rythme de la nature, la ponte a lieu au printemps, chez nous elle commençait le 28 mars et ça ne doit pas changer !
- Sur mes terres, je n’utiliserai plus de produits chimiques ; de diverses manières, j’avais acquit par expérience assez de preuves pour juger que ces produits étaient trop dangereux pour l’Homme, autant le producteur que le consommateur, trop dangereux pour la qualité de l’eau, pour la biodiversité, pour la nature, pour la Vie en général. Donc, pour moi, cette méthode avait fait ses preuves, on a vu sa réussite durant les 30 glorieuses mais aussi très vite ses limites, on sait pertinemment où nous amènera cette technique de production si on continue de se laisser entraîner.
Donc, en contre partie du respect de la vie, je dois m’attendre à une diminution de la quantité et bien que la certification en agriculture biologique ne m’est pas autorisée, je dois quand même mettre en place un planning bio de rotation de culture pour entretenir la fertilité du sol. En production conventionnelle (un joli mot pour dire: production chimique) la terre n’est qu’un support et ce sont quelques éléments nutritifs trop basiques (NPK) qui sont apportés par l’industrie chimique pour nourrir la plante en appauvrissant le sol jusqu’à ce qu’un jour il soit complètement stérile (chute importante du taux d’humus par exemple. C’est déjà le cas en monoculture de maïs irrigué.). En agriculture biologique, c’est la terre qui nourrit la plante, donc le rôle du paysan bio est de bien connaître sa terre pour bien la nourrir. Il faut aussi gérer au mieux les adventices (mauvaises herbes) par la connaissance de leur cycle de vie. Nous avons à tout réapprendre.
- La formation « tourisme vert » que j’ai suivie à la chambre d’agriculture durant l’hiver 89 m’a bien inspiré, je dois d’abord trouver quelle production mettre en place pour orienter le développement et la transformation progressive de ma ferme vers ce moyen de communiquer avec les touristes qui sont aussi des consommateurs. Je ne sais pas encore comment les faire venir chez moi, parce que, comme d’habitude, je n’arrive pas à trouver ma place dans les prêts à penser qu’on me propose, je les trouve trop artificiels. Pourtant une idée trotte dans ma petite cervelle : le tourisme technique tel que commence à le proposer à la même époque Airbus Industrie de Toulouse me plait bien : visite des chantiers de construction des avions ! Et si je faisais la même chose sur ma ferme ? visite technique d’une vraie ferme qui produirait de la nourriture saine pour les citadins. Mais produire quoi ? Je dois approfondir cette façon d’orienter mon avenir de paysan, mais je dois trouver quoi produire, sachant bien entendu que cette production devra aller dans le sens vers lequel doit s’orienter tout projet agricole : Recréer l’harmonie entre les besoins des hommes et les exigences de la nature. Mais pour faire venir les consommateurs jusqu’en haut des coteaux du Gers, hors des sentiers battus, il faut trouver un truc pour les attirer, un truc médiatique pour attirer l’attention. Et puis, faire du tourisme seul… il faudrait être à plusieurs… Je ne sais pas… Beaucoup de choses que je ne maîtrise pas embrouillent ma réflexion. Il y a plein d’éléments du puzzle à assembler et je ne sais pas comment m’y prendre et puis je me rends compte qu’il m’en manque. Je m’inscris à la deuxième session de formation tourisme vert de la chambre d’agriculture pour l’hiver suivant. Cette fois-ci ce n’est plus une formation de 35h, mais 560h réparties sur deux hivers avec une soutenance de projet et un diplôme à la sortie… Je dois donc plancher sur mon projet durant cette période…
- La réforme de la PAC arrive en 1991, retour de la féodalité ? Non je ne suis pas un historien, je n’ai pas assez de mémoire pour ça, j’essaie simplement d’organiser mon cheminement professionnel futur. Appliquer mes idées dans un tel contexte économique pourrait paraître pure utopie, un anachronisme; avant même de commencer à les approfondir, j’ai voulu comprendre comment fonctionnait notre agriculture. Progressivement durant les 20 années qui précédèrent cette époque, fort de mon expérience professionnelle « hors norme », j’ai cultivé une façon d’appréhender les évènements qui me permet depuis, de prendre du recul pour observer avec un regard extérieur. Cette distance me donne une vision globale de chaque situation, un peu comme si, au lieu de m’attacher simplement à naviguer à vue à l’intérieur des frontières de ma ferme, j’y portais un regard depuis un satellite. Le local dans le global. Tiens, en parlant de satellite, nous reviendrons plus tard sur les techniques modernes d’espionnage des agriculteurs par son administration, l’agriculture européenne ayant son propre KGB satellisé.
Panique à bord, les eurocrates des tours de verre bleuté ont décidé de prendre un pouvoir totalitaire sur l’agriculture. « Des 1800 bureaux de Bruxelles, nous pouvons diriger chaque ferme européenne » me dira un jour Juan (Rouan), un eurocrate fort sympathique que j’ai eu la chance de rencontrer à cette époque. Et ils le firent ! « S’il n’y avait pas autant de monde entre-nous, ce serait bien plus simple ! » Avait-il ajouté. Et ils y arrivèrent, car les administrations sont là pour appliquer des directives et les appliquent sans se poser de question, donc, ces décisions parties d’en haut, arrivèrent telles quelles en bas.
Tout aussi consciencieusement, les chambres d’agricultures autant que les syndicats agricoles, cherchèrent à s’adapter à ces directives pour que les agriculteurs profitent un maximum de la réorientation de leur revenu, ce qui aurait pu paraître honorable si ce n’est que notre profession entrait dans un système féodal: le système capitaliste encerclait l’agriculture de toute part en reléguant les producteurs à l’assistance publique, les isolant les uns des autres pour pouvoir mieux les dominer, impossible d’y réchapper. On nous expliquera que la production doit être adaptée au marché mondial et que la gouvernance de l’agriculture, incapable de s’autogérer elle-même était confiée aux nébuleuses des tours de verre bleuté.
Impossible d’en réchapper. Encore une fois, au grand dam de mon administration de tutelle, de mon centre de comptabilité et même du directeur de la DDAF de l’époque qui m’appela au téléphone, j’ai voulu tenté de résister en sachant pertinemment que ce serait inutile, juste pour « l’honneur ». Je refusais durant deux ans de déposer mon dossier pour toucher ces fameuses primes compensatoires européenne PAC (Politique Agricole Commune) ce dossier que je ressentais comme une atteinte à la liberté, des primes qui avilissaient notre profession. Et tout le monde disait amen, c’est ce qui me révoltait le plus…. Restait à recréer des sovkhozes et des kolkhozes et le tour était joué. Hummm…On en est pas loin… Prudence, la chasse aux petits paysans n’est pas encore fermée ! On est resté sur des schémas d’après-guerre, bien qu’il n’y ait plus de vase communicant vers l’industrie et que la population continue d’augmenter dans le béton. ça rime à quoi de continuer d’entasser les gens là dedans, ça va bientôt exploser ? Il y a tant de solutions dans le rural ! Va comprendre quelque chose à tous ça…
A suivre, si j’ai le courage…