En France, ma véritable identité est "Pépé Jeannot", je l'aime bien et je la cultive même si je suis loin, peut-être mieux encore que si j'étais là en permanence. Il y a ces phases d'attentes, d'un coté comme de l'autre, qui donnent du piquant aux retrouvailles tous les trois mois, entretenues par des petits clins d'oeil téléphoniques ou par internet. Ceux qui n'ont pas encore la chance d'être grand-père n'ont pas de souci à se faire, vous verrez, c'est génial. Sur le coup, je dois avouer qu'il m'est venu comme un coup de vieux... La vie est à peine commencée, elle est là devant moi et j'en suis déjà à ce stade ? Mais comme j'avais préalablement adapté la couleur de mes cheveux à ce grade, je me suis facilement habitué à cette réalité. Et j'y ai rapidement pris beaucoup de plaisir car je me suis rendu compte qu'en fait, je retrouvais tous les avantages du rôle de "Papa Jeannot" que j'avais encore en mémoire, sans les inconvénients ! ça veut dire que je peux pouponner, cajoler, câliner sans avoir les inconvénients du biberon de 3 heures du matin, la couche à changer une heure après, les nuits blanches du doublement des gencives et aussi ce rôle délicat de "la loi"...! En fait, grand-père c'est le meilleur moment de la vie !!!
Lorsque je suis arrivé à Grasi, pratiquement en même temps que je suis devenu grand-père, j'ai un peu cherché ma place, mon rôle affectif auprès des enfants orphelins. Je retrouvais une ambiance familiale dans chaque maisonnée, ayant déjà vécu toutes ces étapes de la vie avec mes propres enfants, il y avait beaucoup de similitudes. Mais quel devait être mon rôle hormis le professionnel qui n'est pas le sujet de ce journal ? C'est un peu Christophe qui m'a mis sur la piste. Pour les nouveaux lecteurs, je dois expliquer brièvement, bien qu'on pourrait en écrire un roman, qui est ce personnage de Grasi ? Christophe est un Français qui la trentaine venue, décida de quitter une vie bien confortable pour la donner toute entière aux services des enfants des rues de Riga qu'il découvrait "par hasard" lors de l'effondrement du bloc soviétique en 1991. Des petits mendiants de 5 ans qui grâce à lui vont réussir à s'insérer progressivement dans la vie avec presque les mêmes chances que "les enfants de bonne famille". En clair il est le fondateur-directeur du Village d'enfants de Grasi et il est bien plus jeune que moi ! Un résumé sans doute trop succinct... Christophe vit à Grasi et Il n'est pas seul, près d'une trentaine de personnes participent à la reconstruction de la vie de ces enfants, ses enfants... Une bonne équipe de bénévoles "Cap Espérance" l'épaule aussi en France. Je ne veux pas oublier non plus tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre participent à la réussite de ce pari.
Avant d'avoir mon appartement à Cesvaine, je vivais au coeur de Grasi et le soir je mangeais quelques fois dans une maison d'enfants ou l'autre. Très vite, après avoir été le Français, je suis devenu le projet de la ferme. Pendant l'adolescence des grandes filles, c'était un peu l'inquiétude. Christophe me conseilla de diner chez les grandes plutôt que de changer de maison chaque soir. J'avais un rôle à y jouer, ayant eu moi-même des filles... Mais quel rôle y jouer ? Tout se passait très sympathiquement mais elles savaient que je faisais partie de l'équipe dirigeante, donc, proche de "la loi". Alors comment recueillir des confidences propres à un grand-père ? Ce fut long, presque deux ans, puis peu à peu, même sans la maîtrise de la langue, il y eu quelques complicités, on me demandait de l'aide qu'on n'aurait pas osé demander à "la loi". Maintenant ça y est, mon rôle, je le tiens bien.
Pour les enfants de Grasi je suis, non pas "Pépé Jeannot" mais plus simplement "Zanis", c'est exactement le même rôle. Et il s'est officialisé lorsque, entre "grands", nous avons convenus que je serais "le gentil", qu'il en fallait un et que je jouais déjà naturellement bien le rôle. En effet, pour vivre en famille et à fortiori en communauté il y a des règles, des "lois" et souvent durant l'adolescence on aurait tendance à les remettre en question, c'est normal, on y est tous passés. Et ceux qui doivent les faire respecter n'ont pas le beau rôle, je les plains un peu... Moi, comme les grands-parents dans une famille normale, je joue la complicité, le refuge. Je peux ainsi jouer pleinement (et officiellement) mon gentil rôle de "Zanis gâteau", c'est un beau rôle et j'ai beaucoup de chance. Je pense avoir la confiance de la majorité des enfants en essayant toutefois de les aider à respecter "la loi", mais d'une façon plus douce. La belle vie, quoi !