Suite des notes des jours précédents: N°1, N°2, N°3
Au cours de mes pérégrinations peu communes pour un petit PDG (Paysan du Gers), j’ai eu le privilège de rencontrer des hommes intéressants de l’autre côté de la barrière. Je me souviens par exemple de ce stand du GEDA inter cantonal Lombez-Samatan (groupement d’étude et de développement agricole), un stand que j’avais décidé de monter à titre posthume pour la foire agricole de Samatan, près de chez moi dans le Gers. C’était vers 1990-91 (je n’ai plus la date en mémoire) au moment où commençait de s’appliquer la destruction programmée des regroupements d’agriculteurs: Avec la réforme de la PAC (politique agricole commune) c’est maintenant chacun pour soi ! Que j’interprétais : Maintenant tu entres dans l’ère ultralibéraliste qui a des similitudes avec l’ère soviétique : Tu n’as plus rien à réfléchir et encore moins à décider, attend simplement que ça vienne d’en haut et que chacun tire la ficelle à soi en cochant la bonne case ! Chacun s’était résigné et ma tentative de résistance simpliste n’aurait bien entendu aucun effet. C’est normal, je ne suis pas un meneur d’hommes, juste un simple petit paysan qui n’a même pas trouvé sa case. Et qui sait, peut-être qu’à notre niveau sommes-nous incapable d’avoir une vision globale de l’état (décadent ?) de notre société qui ne veut (peut ?) pas se remettre en cause ?
De ce modeste stand funèbre je garde le souvenir positif de cet homme fort sympathique qui pris le temps du dialogue et fit jaillir toute la lumière, me permettant enfin de comprendre comment fonctionnait notre société occidentale. Cet homme était un descendant des Comtes de Toulouse, il avait participé juste après guerre à la réflexion, au choix et à la mise en place de la première politique commune européenne et notamment la première PAC en 1952, elle faisait suite à celle de l’énergie minière.
Il m’expliqua la stratégie de l’Europe naissante à peu près en ces termes : « Nous avions calqué notre stratégie de développement sur les techniques militaires qui avaient été déployées avec succès par l’armée américaine pour nous libérer : Tout est cloisonné, chacun à un rôle bien défini, chacun sa case sans s’occuper des autres, chacun avance vers l’objectif que lui a fixé l’ordre suprême. Effectivement, il y eut les trente glorieuses, cela dura tant que tout le monde avançait au même pas. Mais rapidement il rajouta…Ce fut une grosse erreur, je culpabilise. Dans ce système, de nouveaux pouvoirs naquirent rendant presque impossible le changement nécessaire de cap. Parce qu’il faut maintenant changer de cap ! Et ça, nous ne le soupçonnions pas… ».
Alors je comprenais mieux et nous engagions en quelques minutes une prospective qui me convenait bien puisque mes 20 années de paysannerie « hors normes » m’avaient déjà permis d’étayer des idées (projets ?) qui dépassaient largement les frontières de ma petite ferme : Et pourquoi pas diversifier, et pourquoi pas stimuler le développement rural sur d’autres critères que le productivisme qui s’avérait une nécessité après guerre mais plus maintenant ? Et pourquoi pas un développement agricole basé sur l’identité territoriale ? Un développement endogène adapté et respectueux de son environnement : Environnement social, culturel, écologique et par déduction économique.A force de chasser tout le monde des campagnes, y-aura-t-il longtemps des solutions pour tous dans le béton ?
Dans la foulée, cœur battant, j’osais sortir de ma poche mon petit carnet sur lequel depuis quelques jours j’essayais de griffonner ce petit texte. Il le lut, l’approuva en me conseillant simplement de remplacer « Tu connais les solutions » par « Tu connais des solutions ».
Paysan des coteaux gersois, réveille le Gascon qui sommeille en toi !
Tu avais raison Gascon, tu n’étais pas fait pour la productivité, tu es conçu comme ton terroir pour produire la qualité, la vrai, et pour la faire partager : c’est comme ça, tu n’y es pour rien !
Tu as de grandes richesses en sommeil, celles que tout le monde t’envie : ta philosophie, ton art de vivre, ton authenticité et ton panache légendaire.
Dès maintenant, tu dois être le guide pour bâtir demain, on a besoin de toi ! Tu peux aider, par ton savoir, à résoudre de nombreux problèmes, tu connais des solutions. Prend conscience, utilise ton énergie à créer et surtout ne la brade ni au fatalisme ni à la révolte. Tu n’as pas de temps à perdre !
Reconstruis la Gascogne pour tes enfants, elle a sa place dans l’Europe du XXIe siècle. Réveille-toi Gascon, et sois fier. Tu as de grandes valeurs à faire partager et c’est bien le moment !
Plus tard, en 1993, j’osais avec un certain trac (avec un trac certain…) confier ce texte à mon amie Maïa qui butine les informations locales. Elle le publia sur La Dépêche du Midi. Plus tard encore, en 2003, il figura sur un recueil parmi mes autres petites réflexions naïves : « Contes, Comtes et Comptes Gascons, plaidoyer pour la réintroduction de l’Homme dans la Nature »
Depuis, 20 ans ont passé et rien n’a changé, les campagnes continuent de se désertifier, le service public s’enfuit, les paysans continuent de disparaître, la pollution continue plus que jamais, l’urbanisation détache peu à peu l’Homme de la nature et de telles idées semblent de plus en plus déconnectées de la vision qu’offre cette nouvelle société artificielle. Qu’en pense-t-on du haut des tours de verre bleuté ? D’ailleurs pense-t-on là haut ? Si oui, j’aimerai bien savoir à quoi ?
A suivre…