Cette réflexion personnelle construite sur mon parcours de paysan est longue, aussi longue que mon parcours, je la diffuserai en plusieurs parties au fur et à mesure que j’en écrirai de nouveaux épisodes, si j’ai le courage de continuer à écrire…
Constat : Durant ce dernier siècle les paysans ont été progressivement chassés de leur campagne et parallèlement la population s’accrût dans le béton où se développait l’industrie. Un vase communicant génial ? Sauf que maintenant l’industrie se volatilise progressivement et que notre société, trop isolée de la nature, s’artificialise peu à peu. (De quoi il nous parle là ?)
Les petits paysans n’ont jamais eu la parole mais il n’empêche qu’ils ont (avaient ?)toujours eu une vision à long terme de leur avenir, souvent sur plusieurs générations. Cette prospective innée est-elle (était) due simplement au souci de protéger leur (très souvent) modeste patrimoine familial, terres ou élevages ? Les rotations des cultures sur plusieurs années pour respecter le bon équilibre de la structure du sol qui nourrit (nourrissait ?) la plante, la sélection génétique pour améliorer son troupeau. Pour cela il faut (fallait ?) des dizaines et des dizaines d’années de persévérance, de passion, de volonté, de motivation, de collaborations et de compétences héritées, partagées, améliorées pour ensuite les transmettre avec fierté à la postérité… On pouvait appeler cette gestion en bon père de famille «l’amour du métier ». Mais qu’en reste-t-il ? Même les paysans survivants se découragent et jettent peu à peu l’éponge. (un peu nostalgique ce mec ? il voudrait un retour en arrière ou quoi?)
A ce propos, voici un petit extrait du texte écrit en 2003 : « Papa, fais moi rêver » tiré de mon livre à rééditer : « Contes, comtes et comptes gascons, plaidoyer pour la réintroduction de l’Homme dans la nature. »
“Fils
- Papa, écoute-moi enfin !!! Je rentre en seconde au lycée et je dois formuler des choix pour mon Avenir. Quand j'étais petit, je t'accompagnais au champ voir notre troupeau, le plus beau du village comme tu disais. Tu me racontais l'histoire d'Aristote qui avait été sélectionné à la foire de Paris et qui était devenu le meilleur taureau du centre d'insémination d’Aubiet, et celui que les marchands se disputaient à la foire de Samatan, et la fameuse Casta qui était si vieille mais que tu gardais parce qu'elle faisait chaque année le meilleur veau de notre étable.
Je t'accompagnais dans la brume matinale voir si le labour était prêt pour y essayer notre nouveau tracteur…Tu me disais: "Humes notre Terre, mon fils, la terre que nos ancêtres nous ont léguée, notre gagne-pain. Nous devons être fiers, nous, agriculteurs nourriciers de notre société prospère !"
Père
- Oui, mais ça, c'était avant…
Fils
- Papa, je veux être PAYSAN !!!
Père
- Arrête de dire des bêtises, tu vois bien que tout est FOUTU…”
Cet amour n’est-il pas passé au second (dernier ?) plan lorsque nos eurocrates otages des multinationales prirent le pouvoir sur l’agriculture en reléguant les derniers paysans à l’assistance publique pour laisser champ libre aux futurs agro-managers multinationalisés ? Un alibi irréfutable aux yeux de la population imposa récemment cette nouvelle façon d’envisager l’avenir de l’agriculture: Fini de rigoler avec les petits paysans, la bio, les agro-énergies et autres papillons bleus, nous avons 9 milliards de bouches à nourrir ! Un alibi douteux puisque prôné par les lobbies du productivisme ??? Ne brandiraient-ils pas aussi l’arme alimentaire, cherchant à justifier la surproduction occidentale pour plus tard, lorsque nos terres seront complètement épuisées, lessivées, stérilisées, polluées, prendre possession de celles des pays émergeants actuellement empêchés d’émerger ? Je me pose la question. (N’importe quoi ! Il radote ce mec !)
Pour nourrir le monde, Il y a sur la planète tant de terres cultivables empêchées de cultiver, tant de peuples paysans empêchés d’autosuffisance alimentaire, tant de citadins désœuvrés (inoccupés) ou désireux de revenir vers la terre. De quoi nourrir des milliards de bouches supplémentaires sans pour autant continuer à dilapider notre planète ? (je m‘en doutais, il plane complètement !)
Finis les groupes de réflexion, finis les petites coopératives, fini la gestion des terres en bon père de famille, notre paysannerie occidentale se meurt à force de se laisser balader par des nouveaux pouvoirs qui n’ont qu’une connaissance théorique et formatée de la terre et aucune connaissance de la vie. Et la nature dans tout ça ? Rien à cirer, on ne va pas se rabaisser à ça ! Tout n’est plus qu’intérêts (soi-disant) économiques, calqués sur l’industrie, d’une gestion à la petite semaine dirigée les jours ouvrables par le jeu de la roulette russe de la bourse : Faites vos jeux Mesdames Messieurs, pour le blé rien ne va plus…
Autre inquiétude : Au sortir de la guerre dans les années 50 l’arrivée triomphante de l’industrie chimique « au service de l’agriculture » va permettre un développement fantastique de la production et aussi l’émergence sociale et économique de la paysannerie qui jusqu’alors avait été parent pauvre de la société. Tout semblait positif sauf que… ceci entraîna progressivement une sélection des plus performants, excluant une partie de la population rurale qui trouvait heureusement son salut dans le béton. Tout semblait encore s’équilibrer comme par enchantement sauf que… Au bout de 20 ans, on commença à découvrir les failles et les limites de ce miracle économique : La pollution. (il parle comme un écolo ?)
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’Homo-sapiens devenait son propre prédateur, prédateur de son propre lieu de vie, prédateur de sa propre santé, prédateur de l’avenir de ses propres enfants. Mais l’Homme est intelligent, c’est prouvé, il est même capable de mesurer sa propre intelligence (QI) et il prendra vite à bras le corps cette déviance passagère, pourrait-on croire ? Que nenni, trop tard, tout est déjà organisé autour du système productiviste, le lobbying est trop fort, impossible de modifier la courbe de croissance cotée en bourse.
Fin des années 60, quelques extra-lucides un peu trop « baba cool » pour être pris au sérieux par la profession, dénonçaient la pollution déjà perceptible, nouvelle gangrène de la planète, nouvelle gangrène de l’humanité, on la cacha tant que l’on put (si tu savais tout ? me disait à cette époque un ami qui analysait l’eau potable…), on refusa d’y croire 30 ans de plus. Maintenant on sait mais on continue de refuser d’agir ou bien on essaie de s’adapter en développant de nouveaux marchés: eaux en bouteille, traitement de maladies en progression à cause de ces déséquilibres (attention, tabous et langue de bois…) et j’en passe... L’Homme est-il réellement aussi intelligent qu’il se le fait croire ? Et le principe de précaution ? Et si on attaquait le mal à sa racine ? (Pourquoi ne parle-t-il que de l’agriculture ? Il n’y a pas que l’agriculture qui est en cause ! réponse: si chacun commençait de balayer devant sa porte…)
C’est en 1968, alors qu’arrivait cette nouvelle donne encore imperceptible du grand public que débutait ma vie professionnelle, ma vie de paysan sur une toute petite ferme de 22ha dans les coteaux du Gers, une ferme familiale qui, à cette époque déjà, aux yeux du système qui s’imposait, n’était pas viable.
Où et comment trouver sa place de paysan dans tout ce charivari qui plus que jamais ressemble à une volonté farouche de chasser les derniers savoir-faire et savoir-vivre en harmonie avec la nature ? Des survivants de la ruralité essaient (essayaient ?) encore de partager leurs inquiétudes et leurs idées, des solutions qu’ils entrevoient (entrevoyaient ?) à leur niveau, des solutions qu’ils voudraient bien échanger entre-eux, échanger avec les citadins piégés dans le béton ? Mais il y a tant de cloisons dressées dans notre société si bien organisée : « Ton rôle n’est pas de penser, un paysan c’est fait pour produire… » (Cette phrase m’a été réellement adressée par un dirigeant agricole, il y a plus de 20 ans alors que j’avais créé avec quelques voisins une petite association pour réfléchir sur notre avenir.)
J’aurai bien aimé continuer de cultiver mes réflexions avec d’autres personnes, comme cela était possible au début de ma vie professionnelle, mais depuis belle lurette il n’y a plus de groupe de réflexion de terrain, on les a volontairement déstructurés, démotivés, la société de consommation savamment orchestrée a hypnotisé son monde et les paysans survivants pour subsister sont trop préoccupés à cocher des cases imposées par leur administration de tutelle…
Alors, éloigné de mon monde, avec seulement l’écriture pour compagne, je continue à radoter, conscient qu’un jour il y aura retour à la raison, il n’y a pas d’alternative, il faudra revenir à la réalité et la réalité c’est de réorienter notre modernité vers plus d’harmonie entre l’Homme et la nature qu’on avait oubliée dans tous ces plans de développement. (Il voudrait que nous nous rabaissions à respecter la nature ? L’Homme vaut plus que ça ! )
Il est temps de réintroduire l’Homme dans la Nature, j’aime bien philosopher sur le sujet, il me passionne (l’avenir m’intéresse parce que c’est là que je vais passer le reste de ma vie. O. Clark). Si nous tardons trop, les petits paysans auront tous disparus pour assurer la transition et puisqu’il n’y a pas d’alternative, on confira cette réintroduction aux technocrates des tours de verre bleuté, quel beau gâchis en perspective…
A suivre.