Ce soir j'ai beaucoup de nostalgie et de tristesse mais quelque part je suis "heureux" aussi (est-ce le mot exact ?) d'avoir pu être là auprès de ma tante Juliette cet après-midi dans ces derniers instants. J'aurai pu être en Lettonie, j'aurai pu être dans le Gers, mais quelque chose de mystérieux a fait que jeudi j'ai décidé de monter dans la Drôme pour être là... J'étais là avec Eliane ma cousine lorsque ma tatan Juliette s'est envolée, tranquillement, paisiblement, sans souffrance. J'ai tant de souvenir ici, tout en haut de la Provence où se trouve une partie de mes racines... Tiens, j'avais écrit un texte dans les tous débuts de mon journal, le 19 avril 2005, le voici...
Ma Drôme à moi.
Un petit mot de ma cousine Eliane me rappelle que j’ai aussi des racines dans la Drôme ! Rassure-toi, je n’ai rien oublié, au contraire. Mais j’ai tellement de racines que je ne sais pas par quel bout commencer ! Bon puisque tu m’as stimulé, allons-y pour la Drôme !
Aîné de la famille, j’ai failli naître à La Motte de Galaure dans la Drôme. Un magnifique petit village médiéval à l’ambiance provençale, avec ses maisons de pierre adossées à la colline, au soleil du Midi,. Il s’en est fallu de peu, puisque mes parents déménagèrent pour la région toulousaine quelques semaines avant le jour J. Je serai né dans cette petite maison toute fleurie, entourée d’un muret de pierre, dans la petite rue qui descend vers la laiterie, à côté de chez la Marie Bernard, celle qui perdait son dentier quand elle riait et du Tonin, un brave garçon, ami de la famille. Mon père est originaire de La Motte et la maison familiale, se nomme la Bergerie. Il y avait mon grand-père Flavien qui s’occupait du grand jardin ; m’a grand-mère elle, nous avait quitté quelques jours avant ma naissance ; le tonton Paul, mon parrain était cordonnier ; la tatan Marie passait sa vie à s’occuper des autres mais aussi de ses chèvres ; le tonton Georges s’occupait de la ferme et du troupeau laitier et la tatan Monique de sa ribambelle de mes cousines et cousin : Geneviève, Odile, Françoise, Etienne et la petite dernière Christine. A Mureils, quelques km plus haut, c’était chez tonton Gérald, le maire de la commune et tatan Cécile qui « menait en champ les chèvres ». Elle faisait de si bonnes tomes…j’en ai encore l’eau à la bouche…J’était très heureux d’y retrouver mes deux cousines Claire et Bernadette. En fait, mon père est le seul de la famille qui émigra vers le Sud, pour raison d’amour. Mais il nous parlait tellement de sa Drôme que nous en rêvions tout autant que lui. De sa génération, à part lui, toute la famille est restée dans la vallée de la Galaure. Cette petite vallée qui, depuis Saint Vallier au bord du Rhône, remonte vers l’Isère en passant par Châteauneuf chez Marthe Robin et Hauterive chez le facteur Cheval. A Saint Uze, il y avait mon oncle Jean, le militaire de carrière qui avait fait l’Indochine pour revenir dans son pays natal après un long séjour à Tananarive à Madagascar. Tantan Paulette l’avait accompagné partout. On l’aimait bien notre oncle Jean qui nous faisait rêver avec ses histoires exotiques, mais il se plaisait aussi à nous inquiéter avec sa collection d’armes.
Mais la plupart de mes souvenirs d’enfance dans la Drôme se sont construits autour du four à pain du tonton Louis, ce bon pain qui embaumait toute la rue de la ville de Saint Uze. Du vrai pain. Du pain qui réveillait mon oncle vers minuit pour préparer la pâte avec le pétrin et chauffer le four à bois qui montait en température pendant de longues heures, le temps que la pâte, elle aussi, montait. Mmmm ! J’ai encore ce parfum des petits pains au lait tout chaud que j’allais chercher le matin au réveil dans la boulangerie que tenait ma tatan Juliette. Et quand une cliente entrait : « Ah vous avez maintenant un petit mitron ? » « Eh oui, c’est mon nouveau petit commis ! ». J’avais peut-être huit ou dix ans et j’étais fier d’entrer au magasin avec le chariot à roulette du fournil pour installer les pains tout brûlants et croustillants sur les rayons. Je me brûlais les doigts, mais cela ne me gênais pas tant je me sentais un homme, encouragé par les clientes. C’était un défilé tous les matins, au milieu des éclats de rire et des gentillesses de ma tante qui créait une ambiance si accueillante qu’elle faisait du tord à la boulangerie de la rue en face. J’aimais bien aller l’après midi, après sa sieste, accompagner le tonton Louis faire la tournée pour livrer le pain dans la campagne avec la Peugeot 203 break. On s’arrêtait à chaque ferme, à chaque maison et les clients étaient presque des amis. Je me sentais bien avec tonton Louis. Bon, cette 203, je lui dois quand même d’avoir une cicatrice à mon majeur gauche, pour cause de fermeture incontrôlée de la porte arrière. Un hurlement qui alerta la rue toute entière et fit accourir l’épicière du Casino d’en face, la bouchère et quelques voisins: « Oh, le pauvre petit ! ». Le soir, on allait travailler au grand jardin, derrière le fournil et aussi, ce qui me passionnait, donner à manger aux lapins.
Mais ma plus grande complice, ma cousine, ma cousine-sœur ou ma sœur-cousine c’est bien Eliane, « la fille du boulanger » qui est venue me voir en Lettonie. Nous avons beaucoup de souvenir communs et je crois que depuis que j’ai le permis de conduire, je n’ai pas passé un an sans aller au moins une fois dans la Drôme. Avec les enfants nous avons continué, et maintenant ils continuent tout seuls. J’achetais même des voitures un peu plus grosses que la normale, exprès pour faire ces 545 km d’autoroute qui nous séparent de cette partie de mes racines.
Malheureusement la vie passe si vite que nous y sommes aussi revenus pour accompagner plusieurs des nôtres vers une autre vie. Et aujourd'hui c'est le tour de ma tatan Juliette...