Je n’ai plus en mémoire ni la date ni par quel filon j’ai eu les coordonnées de JJ l’animateur d’un (du ?) groupe bio à Auch ? Pas par la Chambre d’Agriculture, peut-être par la DDAF ? (Direction départementale de l’agriculture et de la forêt). Mais comme le hasard n’existe pas, lors de mon appel téléphonique, JJ m’invita à la prochaine réunion qui aurait lieu quelques jours plus tard: Super, dit-il, un peu de sang neuf dans le groupe, ça ne fera pas de mal ! Effectivement entrant dans la salle, je jugeais dès les premières secondes que ce groupe au look néo-rural soixanthuitard sursitaire présentait des problèmes circulatoires.
Tour de table obligatoire, un Judas vient de s’infiltrer parmi nous: maraîchers en bio-dynamie, chevrier-fromagers, végétariens ventant les mérites du toffu ou du germe de soja jusque là ça va. On continue : SPA (société protectrice des animaux) ou équivalent, neutraliseur d’énergies négatives et autres marchands du temple…etc., et…quand vint mon tour : Ciel ! un barbare sanguinaire éleveur de chair à canon pour ces putains de chasseurs phallocrates ! Les yeux se révulsèrent un peu plus: Traître, assassin ! ça fait froid dans le dos…
Taulé général : Doux Jésus, que fout ce criminel à notre saine table ? Brigitte Bardot, délivrez nous de ce pêcheur ! Bon, j’exagère un peu pour romancer cette rencontre et te tenir en éveil, mais je l’ai réellement mémorisée ainsi. Alors, me sentant malgré tout sur le chemin du salut, je tentais une explication avec ma diplomatie innée, racontant l’historique de mon parcours de paysan, mon constat et ma prise de conscience qui m’amenait jusqu’au désir de me retrouver en communion avec eux. Mais décidément, ça n’accrochait pas, à part JJ l’animateur qui essayait de tempérer, espérant une brèche dans ce cocon autonomiste. Ces drôles d’apôtres me donnaient l’impression d’un groupuscule d’ultras mais toutefois avec une philosophie qui quelque part nous rapprochait. Eux, malheureusement, ne devaient pas me percevoir de la même façon.
Il va sans dire que l’enthousiasme préalable à cette rencontre s’était bien estompé. Pour moi, gros naïf, la bio c’était et ça reste tout d'abord une technique de production harmonisant les besoins des Hommes et les exigences de la nature, des méthodes de production demandant des compétences différentes et pointues, mais avec pour objectif prioritaire de ne plus utiliser de pesticides et autres intrans issus de l'industrie chimique, source de beaucoup de nos maux. Pourquoi les choses si simples se compliquent dès que l’Homme intelligent y fourre son nez.
Restons positifs, la démarche était aventureuse pour une première expérience mais je comprenais la position des personnes respectables qui étaient autour de cette saine table, je devais probablement procéder par petites étapes dans ce parcours initiatique avant d’être accepté dans tous les lieux où j’avais choisi d’aller. Car il n’était pas question de renoncer ou de me laisser enfermer dans un groupe ou dans un autre, je voulais au contraire continuer ce pèlerinage en vue de prendre la température générale de notre société en commençant par ce qui me semblait le plus à ma portée et surtout correspondant à mes attentes. Amorce délicate : pèlerinage ou chemin de croix ?…
Pourtant, des années plus tard je retrouvais certaines de ces personnes dans un autre contexte, j’étais devenu moi-même prêcheur, coordinateur de formation en agriculture biologique, on se comprenait mieux. Il faut laisser du temps au temps, continuer d'avancer en gardant sa boussole en main, bien entendu.
Cette petite aventure m’ouvrit progressivement les yeux : Notre société est trop cloisonnée, et lorsqu’on fait partie d’une chapelle, il est difficile d’aller voir ailleurs: Ceux qui ne pensent pas comme toi sont des cons... Philosophiquement il me semblait que j’étais sur le point de m'extraire de mon ornière, j’en avais le désir et la volonté bien que mon élevage de gibier était à ce moment à son apogée économique : Jeannot pourquoi te compliques-tu la vie ainsi ? Gagne ton fric tant que ça marche et ne te pose pas autant de questions...
En prenant du recul et un peu de hauteur, cette ouverture me permettait de voir ce qui se passait derrière les cloisons qui nous séparent les uns des autres. Mais pourquoi tant de barrières entre nous ? J’ai dû attendre 5 ou 6 ans de plus pour comprendre le fonctionnement de notre société occidentale.
« Continue » me répète ma petite conscience primitive : Cette étape comme bien d’autres qui suivirent devait me décevoir sans me décourager pour autant. Décevoir par le fait qu’il est très difficile de forcer toutes ces barrières savamment orchestrées, simplement pour se concerter. Diviser pour mieux régner, ce n’est pas d’aujourd’hui...